Érable champêtre du Beulet

En prospection, il y a peu, du côté du Salève j’avais prévu dans mon programme de faire un crochet par la ferme du Beulet (commune d’Archamps). Sur d’anciennes cartes postales on peut y voir de grands ligneux, peut-être des marronniers, et je voulais vérifier s’ils étaient toujours vivants.

Ces arbres n’existent malheureusement plus.

Je n’ai toutefois pas été déçu du détour car à seulement 200 mètres de la ferme, non loin du chemin, une agréable surprise m’attendait.

Un bel arbre au port harmonieux,
au houppier équilibré, bien structuré, d’aspect vigoureux…

Un érable champêtre remarquable,
autant par ses dimensions que par son aspect.

Acer campestre, le plus petit de nos érables locaux, ne dépasse généralement pas 2 mètres de circonférence(1). Je n’ai inventorié qu’une poignée d’arbres au delà, avec un record à 2,25 m.
L’Érable du Beulet avec 2,76 m (mesuré au plus étroit) prend donc la tête du classement, et pas de peu !
Peut-être un record départemental, mais il serait bien téméraire de l’affirmer. En tout cas notre arbre est très certainement un des plus gros de Haute-Savoie.
(maj 8/12/15: deux nouveaux arbres découverts à Machilly relèguent notre érable à la troisième place du classement. D’où l’importance d’utiliser le conditionnel quand il s’agit de parler de records)

L’espèce, très commune, souvent buissonnante, fréquemment couverte de lierre, se retrouve volontiers en forêt, en lisière broussailleuse, en taillis, ou au coeur de haies champêtres impénétrables. Il est alors souvent malaisé, je trouve, d’en distinguer le tronc et la structure.
Cet arbre relativement isolé(2), visible d’assez loin, au pied dégagé, aux formes élégantes, au tronc bien dessiné et vierge de plantes grimpantes, est donc d’autant plus intéressant.

Avec une hauteur d’environ 16 m nous sommes en présence d’un individu plutôt élevé sans être toutefois exceptionnellement haut ; l’espèce dépassant rarement les 15 m(3).

Quoi que bien plus petit qu’aujourd’hui, cet érable reste tout de même bien visible sur un cliché aérien de 1935 et est donc âgé en tous les cas de plus de 80 ans, certainement entre 90 et 150 ans(4).

L’arbre semble sain. Peu de bois sec, (quasi) pas de lierre mais présence de Gui…

À noter que la commune de Beaumont abrite un autre érable record, non pas un champêtre mais un sycomore (Acer pseudoplatanus). À seulement 5km au nord-est la commune de Collonges-sous-Salève héberge un autre érable d’exception(5), à feuilles d’obier (Acer Opalus). Il ne me reste plus qu’à découvrir un gros érable plane (Acer platanoides) pour compléter la famille (ou le Genre devrais-je dire).

Décidément le Salève est une vraie pépinière d’arbres remarquables!

Merci à Arnaud pour cette belle journée de prospection riche en découvertes.

maj 2018: arbre mis au PLU de la commune.

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Accès: Facile. Depuis Beaumont rejoindre le lieu-dit « chez Marmoux »; puis marcher sur ~700m (route forestière) en direction du Beulet pour rejoindre l’érable.
Note: bien que la ferme soit en commune d’Archamps l’arbre se situe sur Beaumont, à quelques mètres de la limite de la commune.

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question épineuse


Voici un Néflier situé à Anthy-sur Léman.

Mespilus germanica est un bel arbuste au tronc tortueux (très ornemental je trouve), jadis cultivé pour ses fruits consommés très très mûrs (on dit qu’ils sont blets, d’aucuns diront pourris), mais qui n’a plus trop la cote aujourd’hui.
Pas si fréquent donc.

Cet exemplaire est-il remarquable?

Sa forme, l’aspect caractéristique de ses fruits, sa situation isolée en bord de route, attirent indéniablement le regard.

Qu’en est-il de ses dimensions: 56 et 43 cm à 1m30 pour environ 1,02m de circonférence à la base.
Je consulte mon échelle statistique et je constate que du simple point de vue des dimensions le Néflier deviendrait remarquable vers 90cm de tour.
Allez hop, validé!

Quoi que…

Un détail a attiré mon attention:
une touffe de rejets d’aspect étrange à mi-tronc.
Rien à voir avec des feuilles de Néflier. On aurait plutôt dit de l’Aubépine.

Sur le moment je ne comprenais pas bien, et suis rentré chez moi en ruminant ce mystère. J’étais en train d’imaginer la fusion entre ces deux arbustes et la victoire finale de Mespilus. Je devais être bien fatigué (ou un peu bobet)  pour ne pas voir l’évidence.

Évidence qui m’apparaitra au détour d’un texte de Lieutaghi: « le Néflier lève tardivement et croît avec une lenteur désespérante [1], aussi ne le multiplie-t-on que par marcottes et par greffe. Ce dernier procédé est à préférer. Le Néflier est bien reçu par le Poirier, le Cognassier, le Pommier et l’Aubépine ».

J’avais donc affaire à un Néflier greffé sur de l’Aubépine!
Très intéressant.

mais alors, quid de la remarquabilité?

En effet, dois-je inventorier cet arbuste en fonction de son identité finale/terminale, si je puis dire, et donc considérer qu ‘il s’agit d’un néflier remarquable d’ environ 1m de circonférence où dois-je considérer cette dernière mesure en fonction des critères de remarquabilité du porte greffe, donc de l’Aubépine? [2]
Dans ce cas 1m de circonférence est intéressant, mais bien moins remarquable.

Question épineuse donc (et qui montre les limites d’une approche statistique)…

Qu’en pensez-vous?

1) Effectivement, j’ai planté un noyau de Nèfle il y a pas loin de 10 ans de cela et le plant ne fait pas plus de 20 cm aujourd’hui.
2) Même problème, finalement, pour tous les arbres greffés.

la Covagne de Corniens

L’épicéa est l’essence dominante dans le Chablais, loin devant le sapin blanc, le hêtre ou le chêne, et forme fréquemment des peuplements purs appelés pessières. L’espèce représente même 45 % [1] de la surface forestière du département, c’est dire si les paysages haut-savoyards sont marqués par l’épicéa!

Formes étranges, association avec la roche, beaux arbres (…) ne sont pas inhabituels. Mais au-delà de l’aspect esthétique il est bien difficile de rencontrer des épicéas remarquables.

L’exploitation forestière pourrait, à la limite, expliquer la rareté des très grands individus. Ces arbres élancés au tronc rectiligne étant coupés, pour des raisons de rentabilité, avant d’atteindre des hauteurs record [2].
Les arbres situés en terrain accidenté ou en alpage, peu élevés, aux formes souvent biscornues, inexploitables, ont eux tout loisir de vieillir à l’abri de la hache.

Mais alors, pourquoi les vieux et gros individus se font-ils si rares?

En termes de dimensions l’épicéa peut franchir les 5 mètres de circonférence, exceptionnellement 6 mètres [3]. Il est cependant peu fréquent de voir des arbres dépasser le mètre de diamètre, et carrément rare d’en croiser au-delà de 4 mètres de tour.
Quant à la longévité l’espèce peut atteindre les 400 ans, voire 500 ans [4]. Toutefois la plupart des épicéas ne semble pas dépasser deux siècles.

Cette faible longévité, comparée à d’autres essences résineuses du moins, suffirait-elle à expliquer cette anomalie statistique?

Une plus grande sensibilité aux attaques de parasites [5], aux champignons, aux coups de vent (enracinement superficiel) seraient-elles des raisons plus à même d’expliquer cette singularité?

Je ne saurais conclure à ce sujet, je constate simplement la rareté des épicéas remarquables comparée à d’autres espèces forestières (sapin, hêtre, chêne, etc).

Malgré cela je ne désespère pas et à chaque nouvelle randonnée en montagne je garde le secret espoir de découvrir La perle, le champion, le roi des épicéas.

 

Lundi dernier je me rendais au-dessus de Thollon-les-mémises. J’avais initialement choisi cette destination pour le superbe panorama sur le Léman qui devait récompenser notre expédition, c’était sans compter sur la météo: temps couvert, humide, brumeux. Toutefois, j’avais bien pris soin d’opter pour un secteur intéressant du point de vue de mes prospections. Le côté forestier et sauvage de l’itinéraire retenu était prometteur.

La dernière section du trajet pour atteindre le pic Blanchard, boisée, aux allures de forêt primaire drapée d’un voile de brume, était particulièrement plaisante, mais aucune découverte particulière. J’allais donc revenir bredouille quand au retour, au niveau du chalet de Corniens, au bénéfice d’une éclaircie momentanée, j’aperçois un arbre qui m’intrigue. De loin et avec une visibilité médiocre j’ai d’abord cru à un gros sapin (l’aspect général différait des épicéas alentour, en particulier au niveau des extrémités émoussées des rameaux sur les 2/3 de la hauteur qui, visuellement, tenaient plus du chou-fleur que de la draperie pendante habituelle chez l’épicéa) et j’étais  excité à l’idée de découvrir un vieux Gogant.

L’approche réservait deux surprises: l’arbre était bien plus gros qu’imaginé et surtout il ne s’agissait pas d’un Sapin, mais d’un Épicéa!

C’est toutefois au pied du colosse que j’ai réellement pris la mesure de la découverte! Je tenais ma perle!

Comment décrire cette trouvaille?
Un arbre à l’allure bizarre, impressionnant, peu élevé, mais à la base énorme, évasée. Le tronc est un peu concave en aval, côté sud. En surplomb de cette cavité émerge une grosse branche en forme de trompe bifide. L’aspect de l’ensemble est étrange. Sous un certain angle l’imagination fait apparaître le faciès grotesque et inquiétant d’un monstre ligneux, oeil torve, bouche grande ouverte, prête à avaler le promeneur imprudent venu s’abriter au creux de son tronc.

Pas de doute, il s’agit d’une découverte extraordinaire!

Cet arbre correspond à ce que l’on appelait des Covagnes (issu, semble-t-il du patois Covagné [6]) : de vieux et gros épicéas d’alpage  aux formes noueuses, à l’opposée des épicéas élancés et rectilignes de pessière. Ce terme patois semble concerner principalement le Jura franco-suisse, cependant on retrouve covagne et ses dérivés dans plusieurs noms de lieux haut-savoyards (la Covagne, les Covagnes, bois des Covagnes, Covagnet, Covagny, le Covagnin), ce qui prouve son usage dans notre département.

Côté chiffres notre épicéa affiche un tour de taille exceptionnel de 5,45 m! [7]

Pour ce qui est de son âge difficile à dire, je suis loin de maîtriser le sujet ; mais en comparant diverses données disponibles sur Picea abies je pense qu’un minimum de 250 ans est tout à fait crédible.

Le houppier est dense et l’état sanitaire semble tout à fait correct. Pas de dégâts apparents ni de traces de pourriture. Toutefois je n’ai pas bien pris le temps d’observer, car quand je suis accompagné je me sens toujours obligé d’écourter la rencontre pour ne pas ennuyer mon entourage (au final j’ai oublié d’évaluer la hauteur, je n’ai pris aucune note, et n’ai récolté qu’une poignée de photos. C’est bien dommage).

Un arbre qu’il me faudra retourner voir, c’est certain (enfin, si je trouve le temps), sans oublier de fouiller les environs…

maj août 2021 – Retour à Corniens. Covagne toujours aussi fringuante. Nouvelles mesures: 5,66 m à ~1m amont, sous la trompe / 5,17 m à 1m70 amont, au dessus de la trompe. Hauteur : 26,5 m.
J’ai profité de mon court passage dans le secteur pour visiter d’autres épicéas en lisière. Mon intuition tend à se confirmer: le site pourrait bien être une pépinière à covagnes remarquables. À 100 m en aval de notre champion se trouve un spécimen de 4,94 m (voir ici), deuxième plus grosse circonférence de mon inventaire pour la Haute-Savoie.
Un site prometteur qui serait à prospecter minutieusement.

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Accès: relativement facile > environ 2h de marche allez-retour depuis le lieu-dit chez Jacquier, après Thollon-les-Mémises (dénivelé env 400m, route forestière).

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quelques nouvelles

Bien peu d’articles récents sur ce blog, pourtant ce ne sont pas les sujets qui manquent (ni l’envie d’ailleurs). Quantité d’arbres remarquables attendent que je leur dresse le portrait, mais je manque cruellement de temps.

La présentation type « blog » n’était peut-être pas la forme la plus judicieuse pour ce site. Cette absence d’articles pourrait suggérer une pause, voire un arrêt des différents projets. Mais c’est tout le contraire: c’est bien parce que j’ai trop de projets en cours que je ne trouve pas le temps d’écrire.

Je n’ai pas de solution miracle, mais en guise de rustine je vous propose une page « actualité » (voir ici) histoire de vous tenir informés, dans les grandes lignes, les dernières nouvelles concernant mon travail autour des arbres remarquables…