l’Érable de la Thuile

Le chalet de la Thuile, dans la commune de Beaumont, est située à 1161 m d’altitude sur le massif du Salève.


Tout au long du chemin et face à la vieille bâtisse un panorama superbe s’offre à vous: une vue à 180° sur le Genevois, d’un côté le Léman, de l’autre le Vuache,  et en arrière plan les lignes douces du Jura caressant l’horizon.

Ce chalet de la Thuile n’est pas un simple chalet d’alpage, mais un lieu au riche passé.

Au XIIème siècle des religieux s’installent au pied du Salève, sur la commune de Présilly, et fondent la Chartreuse de Pomier. Au sein de la chartreuse les hommes chargés des affaires séculières, des travaux manuels, de l’entretien des champs et des forêts sont appelés « frères convers ».
Il est possible que la « grange » de la Thuile ait été un lieu exploité par les frères convers dès le XVIème siècle(1).

En 1792 les révolutionnaires français envahirent la Savoie, pillent la Chartreuse, dispersent les religieux et confisquent leurs biens(2) ; la Thuile sera alors vendue aux enchères…

Fin du XIXème le lieu est racheté par la famille Brand qui rénove et agrandit le chalet, le transformant en une ferme-auberge qui deviendra un lieu très couru à la cuisine réputée, avant de retomber dans les limbes de l’anonymat…
La Thuile sera habitée par un berger pendant presque 30 ans, avant son rachat par la commune de Beaumont en 1982…

Le Salève est une vraie pépinière  d’arbres remarquables. Il est ici assez facile de tomber, au détour d’un sentier, sur un ligneux hors du commun. Difficile pourtant, pour le randonneur de passage, de déceler le caractère exceptionnel de l’érable situé une trentaine de mètres en contrebas du chemin de la Thuile, non loin des bâtiments.
Si je n’étais pas habitué à chercher les vénérables ligneux je serais sans doute moi-même passé par là sans remarquer cet arbre, qui vu d’en haut n’accroche pas forcément le regard (à plus forte raison en période de végétation où le feuillage masque en partie sa structure massive).

Il s’agit d’un érable sycomore (Acer pseudoplatanus) aux dimensions hors du commun.

Son caractère hors-norme est à chercher côté circonférence car sa hauteur modeste, 25 m environ, n’en fait pas un arbre particulièrement élevé(3).  Sans grande concurrence pour la lumière ce vieux ligneux n’avait pas besoin d’aller plus haut. Qui plus est il a été taillé par le passé, peut-être à de nombreuses reprises.

Malgré des mensurations record(4) cet érable se fait pourtant discret. En amont, depuis le chemin de la Thuile, on pourrait penser avoir affaire à un groupe très compact de plusieurs arbres. Ce n’est qu’en aval du vieil érable, le long de l’ancien chemin qui reliait cet alpage à celui des Convers, que sa puissance se dévoile…

D’une énorme base ligneuse d’environ 7,60 mètres de tour(5) (soit presque 2m50 de diamètre!) émergent trois troncs dont le plus large, avec 4,35 m(6) de circonférence , surpasse à lui seul la plupart des érables du département.

Difficile de conclure de façon catégorique s’il s’agit d’un seul ou de plusieurs arbres soudés. Toutefois mon ressenti est qu’il s’agit bien d’un unique érable. Acer pseudoplatanus rejette facilement de souche et ramifie souvent assez bas. Il n’est donc pas inhabituel de rencontrer des multi-troncs.

L’espèce peut atteindre des dimensions impressionnantes. Sur l’ensemble de l’Europe de très nombreux érables inventoriés dépassent les 5m de tour, allant jusqu’à 9 m(7). Qu’ils soient si nombreux ne signifie pas pour autant une distribution régulière des différentes circonférences, car sur le terrain il est peu fréquent de trouver des individus dépassant le mètre de diamètre.

Quand bien même il s’agirait de plusieurs arbres soudés, la circonférence du plus gros des trois troncs suffirait donc à le rendre remarquable.

Acer pseudoplatanus est une espèce qui peut dépasser les 200 ans, voire exceptionnellement 300. Quelques arbres auraient même franchi les 500 ans. J’aurais toutefois bien du mal à donner un âge à notre érable. Peut-être entre 200 et 300 ans, difficile à dire…

Le plus gros des tronc est creux, ce qui semble très fréquent chez les vieux érables. L’arbre présente un peu de bois mort et les stigmates de quelques blessures. L’ensemble dégage une impression de force et de vigueur.

Un certain nombre d’arbres (probablement remarquables) situés aux abords du chalet ont été coupés en 2014 par la municipalité pour des raisons, semble-t-il, de sécurité.
L’érable doit probablement sa survie à sa position: situé à l’écart, il ne présente pas de danger pour les bâtiments ou pour les promeneurs…

Maj 2018: arbre mis au PLU.

Maj mai 2019: notre érable apparaît fugacement dans le documentaire « Les Arbres Remarquables, un patrimoine à protéger » (sortie nationale en avril de cette année).
Une consécration bien méritée!

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GPS: N46° 05.147′ E6° 07.402′
Accès: Assez facile. De Cruseilles prendre la route qui parcourt le sommet du Salève (il est possible aussi de la prendre par Collonges-sous-Salève, la Muraz, ou encore Monnetier-Mornex) et se garer au parking situé près du Plan du Salève. De là descendre à pied, sur ~2km, la route gravillonnée de la Thuile pour atteindre le Chalet. En chemin quelques beaux arbres sauront agrémenter votre parcours, tel que ce bel alisier blanc, ou encore cet orme.
En contrebas du chalet un vieux verger d’altitude, rénové en 2012, abrite quelques arbres intéressants…

Merci à Jean Louis Sartre pour les informations qu’il m’a communiqué et qui m’ont permis de compléter l’historique du lieu (voir son site consacré à La Thuile).

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les Érables champêtres du Sauget

Ces dernières années, et jusqu’à très récemment, je n’avais pu découvrir d’érable champêtre franchissant 2,25 m de circonférence. Je savais pourtant que l’espèce pouvait dépasser les 3 mètres, voire exceptionnellement 4 m(1), alors je ne perdais pas espoir de dénicher, un jour ou l’autre, un gros érable haut-savoyard.
Fin septembre je rencontrais mon premier Acer campestre nettement remarquable ; et avec une avance confortable: affichant 2,76 m de circonférence il dépassait de 51 cm mon précédent record (voir cet article). Je ne pensais pas en découvrir de comparables de sitôt…

Ce record aura finalement tenu à peine plus de 2 mois.

(C’est ça qui est chouette avec la prospection sur le terrain: J’ai beau planifier au millimètre près mes expéditions il y aura toujours de l’inattendu)

Début décembre je me rendais au pieds des Voirons, sur la commune de Machilly, pour visiter des sapins que l’on m’avait signalé.
Je n’ai pas trouvé ces arbres, mais ma visite me réservait une surprise.

Une triple surprise devrais-je dire, se présentant sous la forme d’un ensemble de trois érables champêtres situés aux abords de la ferme du Sauget(2), plus exactement au départ du chemin rural de la vacherie en amont de la bâtisse (deux d’entre eux poussent côte à côte, le dernier se trouve un peu plus haut, de l’autre côté du chemin).

Le principal critère de remarquabilité à retenir ici est, vous l’aurez deviné à mon introduction, celui des dimensions, du moins en ce qui concerne les deux plus imposants du trio qui, du point de vue de leurs circonférences, se rangent à la première et deuxième place du classement des plus gros érables champêtres du département!(3)

Le premier affiche 3,16 m  de tour, soit 1 mètre de diamètre! Vraiment très impressionnant pour de  l’Acer campestre.
Sa hauteur, environ 17 m, bien que supérieure à la moyenne, n’est pas pour autant exceptionnelle(4) (les deux autres érables présentent des hauteurs moindres).

Un renfoncement du tronc, orienté verticalement et souligné par une ligne de mousses, confère à cet arbre un aspect d’énorme fermeture-éclair ligneuse.
Pourrait-il s’agir de deux arbres (où de deux tiges du même arbre) soudés?
Difficile à dire. Possible, mais dans ce cas pourquoi les deux troncs seraient-ils restés bien parallèles avant de se séparer brusquement vers 2 mètres de haut?

La présence de champignons lignivores(5) au niveau de la fourche (voir cette image) nous permettrait-elle d’envisager d’autres hypothèses:
S’agirait-il de bourrelets ligneux visant à circonscrire la partie touchée?(6)
Ou alors la sève, n’irriguant plus les parties attaquées emprunterait-elle de nouveaux chemins prioritaires de part et d’autre de de cet axe central, formant avec le temps ces excroissances donnant une impression de séparation du tronc?

N’étant pas spécialiste en physiologie végétale je ne peux qu’émettre des suppositions.
(avis bienvenus)

Quoi qu’il en soit l’aspect général est bien celui d’un arbre unique.

Le deuxième érable ne franchit pas la barre des 3 m mais reste saisissant avec ses 2,82 m de circonférence(7).

Légèrement penché côté chemin cet érable présente une structure un peu similaire au précédent: l’aspect fermeture-éclair, certes moins prononcé, est tout de même bien visible (même remarque que précédemment. Mais là, en revanche, pas de champignons).

Le plus modeste des trois arbres, quant à lui, se distingue davantage par la beauté de son tronc sinueux que par sa taille. Il affiche tout de même une très honorable circonférence de 2,18 m.

Les dimensions des deux plus gros érables suggèrent des âges assez élevés, du moins pour l’espèce Acer campestre qui dépasserait rarement 150 ans(8). Toutefois ces arbres vigoureux ne présentent pas des physionomies de vieillards et sont peut-être moins âgés qu’on ne l’imagine (peut-être un indice en faveur de l’hypothèse des troncs soudés?). Difficile donc de leur donner un âge, mais en tout cas ces arbres ont vraisemblablement dépassé le siècle d’existence(9).

Leur état sanitaire semble correct. On note un peu de bois sec, la présence de gui et les stigmates de quelques branches coupées.
Ces arbres mériteraient d’être mis en valeur et débarrassés des divers objets entreposés à leurs pieds, non seulement dans un but esthétique, mais aussi parce que certains éléments, comme de gros blocs de pierres, pourraient par leur  manipulation engendrer des blessures.

La consultation des plus anciennes photographies aériennes (1935) ainsi que des cadastres de 1901 et 1934(10) ne nous apprend pas grand-chose sur ces arbres, si ce n’est que le lieu n’a quasiment pas changé en un siècle et que ces érables n’étaient pas utilisés comme limites de parcelles (« pied cornier »).

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GPS: N46°14.592′ E6°20.781′
Accès: Assez facile. Depuis Bons-en-Chablais où Langin rejoindre le hameau des Granges, puis continuer sur la route du Sauget. Après ~800m, possibilité de se garer sur la droite. Marcher sur environ 1 km pour rejoindre la ferme du Sauget.

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Érable champêtre du Beulet

En prospection, il y a peu, du côté du Salève j’avais prévu dans mon programme de faire un crochet par la ferme du Beulet (commune d’Archamps). Sur d’anciennes cartes postales on peut y voir de grands ligneux, peut-être des marronniers, et je voulais vérifier s’ils étaient toujours vivants.

Ces arbres n’existent malheureusement plus.

Je n’ai toutefois pas été déçu du détour car à seulement 200 mètres de la ferme, non loin du chemin, une agréable surprise m’attendait.

Un bel arbre au port harmonieux,
au houppier équilibré, bien structuré, d’aspect vigoureux…

Un érable champêtre remarquable,
autant par ses dimensions que par son aspect.

Acer campestre, le plus petit de nos érables locaux, ne dépasse généralement pas 2 mètres de circonférence(1). Je n’ai inventorié qu’une poignée d’arbres au delà, avec un record à 2,25 m.
L’Érable du Beulet avec 2,76 m (mesuré au plus étroit) prend donc la tête du classement, et pas de peu !
Peut-être un record départemental, mais il serait bien téméraire de l’affirmer. En tout cas notre arbre est très certainement un des plus gros de Haute-Savoie.
(maj 8/12/15: deux nouveaux arbres découverts à Machilly relèguent notre érable à la troisième place du classement. D’où l’importance d’utiliser le conditionnel quand il s’agit de parler de records)

L’espèce, très commune, souvent buissonnante, fréquemment couverte de lierre, se retrouve volontiers en forêt, en lisière broussailleuse, en taillis, ou au coeur de haies champêtres impénétrables. Il est alors souvent malaisé, je trouve, d’en distinguer le tronc et la structure.
Cet arbre relativement isolé(2), visible d’assez loin, au pied dégagé, aux formes élégantes, au tronc bien dessiné et vierge de plantes grimpantes, est donc d’autant plus intéressant.

Avec une hauteur d’environ 16 m nous sommes en présence d’un individu plutôt élevé sans être toutefois exceptionnellement haut ; l’espèce dépassant rarement les 15 m(3).

Quoi que bien plus petit qu’aujourd’hui, cet érable reste tout de même bien visible sur un cliché aérien de 1935 et est donc âgé en tous les cas de plus de 80 ans, certainement entre 90 et 150 ans(4).

L’arbre semble sain. Peu de bois sec, (quasi) pas de lierre mais présence de Gui…

À noter que la commune de Beaumont abrite un autre érable record, non pas un champêtre mais un sycomore (Acer pseudoplatanus). À seulement 5km au nord-est la commune de Collonges-sous-Salève héberge un autre érable d’exception(5), à feuilles d’obier (Acer Opalus). Il ne me reste plus qu’à découvrir un gros érable plane (Acer platanoides) pour compléter la famille (ou le Genre devrais-je dire).

Décidément le Salève est une vraie pépinière d’arbres remarquables!

Merci à Arnaud pour cette belle journée de prospection riche en découvertes.

maj 2018: arbre mis au PLU de la commune.

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Accès: Facile. Depuis Beaumont rejoindre le lieu-dit « chez Marmoux »; puis marcher sur ~700m (route forestière) en direction du Beulet pour rejoindre l’érable.
Note: bien que la ferme soit en commune d’Archamps l’arbre se situe sur Beaumont, à quelques mètres de la limite de la commune.

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