le Tilleul de Douvaine

En créant ce site j’avais initialement dans l’idée de présenter, en priorité, les ligneux les plus connus de Haute-Savoie, célèbres même au delà des frontières départementales[1]. Pourtant, aujourd’hui, avec pas loin de 80 articles je n’ai publié à ce sujet qu’un seul portrait[2]. Il ne s’agit pas de procrastination, mais plutôt d’un mélange de respect sacré – très intimidant quand il s’agit de prendre la plume – et de la conviction qu’un texte qui n’apporterait rien de nouveau n’aurait que peu d’intérêt[3]. Je me laissais alors le temps nécessaire à la poursuite de mes recherches[4] ; et c’est justement là que le bât blesse, tant cette tâche s’avère ardue[5].

Le Tilleul de Douvaine est, selon moi, l’arbre le plus remarquable du département.
 
Promotion que d’aucuns pourraient trouver subjective et discutable, mais plusieurs critères, notamment un âge très élevé et des dimensions colossales, permettent légitimement de lui décerner ce titre.
Résilience saisissante, aspect fantastique et pittoresque, association avec l’église ; autant de qualités supplémentaires parachevant le sacre de ce fabuleux ligneux.

Pour les raisons précédemment évoquées je n’avais jamais entrepris d’en dresser le portrait ; mais il est plus que temps de lui rendre hommage.


Sa hauteur est de 20,5 m[10], rien d’extraordinaire.
En revanche sa circonférence est exceptionnelle !

Le mètre ruban tombe en syncope, le décamètre déclare forfait et laisse la main au double décamètre qui affiche…

~ 11,5 m de tour[7] !

Il s’agit à ma connaissance du troisième plus gros Tilleul de France[8],
et de l’un des plus imposants d’Europe[9] !

Il est probable que certains restent dubitatifs face à cette mesure ; soit qu’ils pensent avoir affaire à plusieurs arbres, soit qu’ils estiment curieux, sinon illégitime, de mesurer du vide.
À ce propos, deux remarques succinctes:
Seule une analyse génétique permettrait de trancher définitivement, toutefois l’examen attentif de la structure de l’arbre (nous y reviendrons) ainsi que l’observation d’autres vénérables tilleuls européens de gabarits similaires permettent de supposer avec force, à défaut de certifier, qu’il s’agit d’un seul individu (chez les très vieux sujets, les troncs creux, dégradés, ouverts, éclatés, morcelés, sont davantage la norme que l’exception).
Concernant les zones vides, il faut imaginer qu’elles étaient autrefois comblées par des parties aujourd’hui disparues de l’arbre (voir schémas dans la suite de l’article). Hormis leur affaissement progressif vers l’extérieur les deux axes survivants ne se sont pas déplacés au sol, mais ont continué à croître vers l’extérieur, en périphérie du coeur absent. Ce Tilleul aurait donc peu ou prou la même circonférence s’il avait conservé la totalité de sa structure (voir sur ce photomontage ce à quoi aurait alors pu ressembler notre arbre)…

Il est communément répété que sa forme serait due à la foudre qui l’aurait fendu en deux au début du 20ème siècle.
S’il n’est pas impossible que cet arbre ait été spectaculairement foudroyé à cette période, justifiant probablement qu’on en parle encore aujourd’hui, son aspect actuel n’en est en rien la conséquence. Pour preuve (entre autres) l’illustration ci-dessous, datant de 1895[11], nous permet de constater que notre tilleul avait alors quasiment la même structure qu’aujourd’hui, et n’a donc pu être fendu à une date ultérieure.

L’hypothèse d’un foudroiement bien plus ancien n’est pas à écarter définitivement, mais en l’absence de toute trace écrite cette donnée reste douteuse, d’autant plus que l’évolution morphologique naturelle des tilleuls très âgés suffit amplement à expliquer sa forme actuelle…

Trônant au pied de l’église, l’arbre se situait jadis au coeur du cimetière (aujourd’hui déplacé[20]).

La tradition orale (jusqu’aux documents officiels) le fait remonter à l’époque d’Henri IV:

Vers l’année 1600, par décision de Maximilien de Béthune, dit duc de Sully, alors ministre du roi, de nombreux arbres, principalement des ormes, ont été plantés sur tout le territoire français.
Les vieux ormes ont pratiquement tous disparu, victimes de la maladie de la graphiose ; en revanche il subsiste encore de nombreux Tilleuls de Sully.

Dans l’imaginaire populaire les « Sully » sont des arbres de places ou de parvis d’église, lieux de rassemblement et de discussion. Mais il y a là un amalgame entre les arbres de village, dont la tradition est bien antérieure à Henri IV, et les véritables arbres de Sully.
Si la lettre patente de 1601[17] évoque bien les « places publiques », ces arbres furent principalement plantés aux carrefours et le long des grands chemins. L’objectif était plus utilitaire que symbolique, et le choix singulier de ces sites de plantation s’explique notamment par les fonctions du ministre: Sully fut nommé en 1599 « grand Voyer de France » (ministre de la voirie en quelque sorte[34]) ainsi que « Grand maître de l’artillerie de France ». La plantation massive de nombreux arbres répondaient donc, avant tout, à deux nécessités: stabiliser les voies de communications, alors en fort mauvais état, et fournir en quantité du bois de qualité pour fabriquer des affûts de canons…

Que le Tilleul de Douvaine soit un Sully est une idée séduisante, mais fausse:

Outre le fait que nous ayons affaire à un arbre de cimetière (ce qui en soi est déjà un critère excluant)[39], le simple examen du contexte historique permet d’infirmer cette hypothèse: la Haute-Savoie n’est française que depuis 1860[38], et il est donc exclu qu’on ait appliqué à Douvaine vers 1600, deux siècles et demi avant l’annexion, les directives d’un ministre d’une nation étrangère ; nation ennemie qui plus est!
(→ 1598 différend de la « paix de Vervins »[40], puis guerre franco-savoyarde de 1600 à 1601)…

Une variante raconte qu’Henri IV aurait attaché son cheval au tilleul.
Anecdote qui tient davantage d’un folklore tardif que d’une réalité historique ; le Roi de France n’ayant jamais mis les pieds à Douvaine[37].


Au tilleul de Douvaine on attribue généralement un âge d’environ 400 ans, hypothèse qui découle de celle d’une plantation sous Sully vers 1600. Ce postulat est erroné, comme nous venons de le voir ; mais se pourrait-il que cet arbre soit âgé de quatre siècles, justifiant peut-être ce quiproquo historique?

Il est possible de connaître les dimensions que peuvent prétendre atteindre des arbres plantés vers 1600 par l’examen des Sully véritables et par l’étude du rapport âge/circonférence de nombreux tilleuls dont on connait l’année de plantation.

→ Signalons, à ce propos, l’étude comparative réalisée sur 40 tilleuls de Sully par Castor masqué[18], chercheur d’arbres Isérois. Travail qui lui a permis de déduire une fourchette de circonférences allant de 5 à 7 m, avec une moyenne de 6,20 m.

Une chose est claire: notre arbre ne joue pas dans la même cour, car ses mensurations sont bien supérieures à ce qu’on pourrait attendre d’un tilleul de 400 ans.
Au vu de ses dimensions et de son aspect ce vénérable ligneux est bien plus âgé qu’annoncé!

Mais alors, quel âge peut bien avoir le Tilleul de Douvaine?

Mes propres études statistiques et bibliographiques me permettent de proposer l’estimation suivante, large et perfectible certes, mais vraisemblable:

Âge possible: entre 600 et 800 ans![12]

Probablement le plus vieil arbre de Haute-Savoie![19]

Sa plantation remonterait donc à une période comprise, en gros, entre 1200 et 1400 ; en tout cas antérieure à 1500.

Les tilleuls sont des arbres extraordinairement longévifs.
Parmi nos ligneux autochtones, rares sont les espèces à pouvoir prétendre dépasser le millénaire d’existence: if, olivier, chênes, genévriers (…)[35]  et tilleuls[36]… Dans l’absolu les candidats sont toutefois plus que rarissimes, et la plupart des arbres meurent bien avant d’atteindre la limite potentielle de longévité de leur espèce.
Même si, théoriquement, notre arbre peut espérer vivre plusieurs siècles supplémentaires (à condition d’être bien accompagné), 600 à 800 ans est déjà un âge exceptionnel…

Je trouve ce tilleul superbe, mais je sais pertinemment que le critère de beauté concernant un arbre aussi ancien (accidenté, tourmenté, asymétrique…) est une notion très subjective. S’il est vrai qu’il ne correspond pas vraiment aux canons de beauté classiques, en revanche ce vieux briscard ne manque pas de caractère ; je dirais même qu’il a de la gueule!
La partie la plus affaissée, soutenue par des étais, ajoute au pittoresque de l’ensemble. Avec un peu d’imagination on croirait voir une gigantesque main ligneuse, paume vers le ciel.

Si l’étayage est fort ancien, les piliers en revanche sont relativement récents. Ils sont venus remplacer des colonnes de béton qui elles-même se sont substituées à une ancienne structure[13] visible sur de vieilles cartes postales. Il est possible de deviner celle-ci par les sections métalliques incrustées dans le bois.


Au delà du plaisir contemplatif, il est possible de passer des heures à observer cet arbre fascinant, tant celui-ci a à nous apprendre sur l’extraordinaire résilience des tilleuls ; ainsi que, plus généralement, sur la physiologie des très vieux ligneux.

Un arbre creux serait mort ou mourant. Cette apriori/croyance populaire erronée, malheureusement fort répandue, est à l’origine de nombreuses méprises dommageables aux vieux arbres, parfois de façon funeste[23].

En fait, un arbre n’est vivant qu’en périphérie du tronc, dans la partie appelée « aubier » (auquel s’ajoute, directement sous l’écorce, une fine couche de « cambium »).
Le coeur, appelé « duramen », est quant à lui inerte…
Cette structure du bois est facile à distinguer chez certaines essences qui présentent des différences de couleurs très marquées entre aubier et duramen (comme sur la photo ci-contre).

Proportionnellement au tronc dans son ensemble la couche de bois vivant est peu épaisse (parfois même remarquablement ténue[22]). Il n’est alors pas étonnant que les arbres creux offrent une impression de fragilité et/ou de dépérissement[26].

Pourtant l’absence de bois de coeur n’est pas automatiquement liée à une dégradation de l’état de santé de l’arbre[25] ; car, rappelons-le, le duramen est constitué de tissus inertes… Donc morts!

Le creusement des vieux arbres est la norme, et non l’exception ; et chez les espèces très longévives les individus peuvent parfaitement vivre plusieurs siècles supplémentaires en étant complètement creux…

Au delà du creusement du coeur, un vieux ligneux peut perdre une ou plusieurs parties de sa structure, et ne survivre que par des lambeaux périphériques qui avec le temps peuvent offrir l’impression d’être autant d’arbres indépendants.

Concernant le Tilleul de Douvaine le phénomène est déjà fort ancien : en 1803 Jean-Bernard Ribond parlait déjà du « bouquet de tilleuls de la place de l’Eglise »[24]. ; évoquant, pour expliquer sa forme, l’hypothèse d’une plantation « en cercle de jeunes tilleuls ».

(Soit dit en passant, voici donc au moins 216 ans que notre tilleul survit avec cette structure si particulière : de quoi relativiser la notion de fin de vie d’un arbre!)[42]

Un arbre ne « cicatrise » pas, comme on l’entend trop souvent ; du moins il ne cicatrise pas comme pourrait le faire un animal, c’est-à-dire qu’il ne répare pas les tissus lésés et n’élimine pas les tissus morts.
L’arbre compartimente et recouvre ; ce qui signifie, en gros, qu’il isole la partie lésée/morte des tissus vivants en créant des barrières chimiques dans le bois (pour éviter la propagation de pathogènes) ainsi qu’une barrière physique à l’extérieur qui se matérialise par un recouvrement progressif de la plaie[27]. On parle alors de « bourrelet de recouvrement », ou de « bourrelet cicatriciel ». La rapidité du recouvrement, l’épaisseur et la vigueur de ce bourrelet, nous donnent au final davantage d’informations sur la santé de l’arbre que la blessure elle-même.


Si l’arbre perd bien plus qu’une branche, disons une partie importante de son tronc, le recouvrement devient impossible et le bourrelet prend l’aspect d’une lisière épaisse bordant les parties mortes.

Au fil du temps le bois de coeur se dégrade et finit même dans certains cas, comme ici à Douvaine, par disparaitre ; le bourrelet s’enroule alors à l’intérieur du tronc tel un ourlet.

Le phénomène est ici particulièrement spectaculaire et fascinant.

Chez les vieux arbres la circulation de la sève n’est pas répartie de façon homogène. Certains axes deviennent prioritaires: il peut s’agir du chemin le plus court allant d’une grosse racine à une charpentière[41], mais cela peut concerner le bourrelet vertical ci-dessus évoqué. Ces axes étant plus vigoureux la croissance en épaisseur est plus importante. Ils offrent alors au tronc, avec le temps, un aspect cannelé caractéristique.

Les axes les moins vigoureux peuvent même finir par disparaitre, créant un trou allongé et vertical, plus tard lui-même bordé de bourrelets épaissis. Les sections encore vivantes peuvent passer pour des arbres indépendants, ce qui peut paraître déconcertant quand ces « arbres » se rejoignent en hauteur, comme c’est le cas ici.
Spectaculaire singularité déjà remarquée par Jean-Bernard Ribond en 1803 :

« une des portions séparée par le bas se réunit dans le haut. »[24]

Le long pli vertical, nettement visible ci-dessus, est un indice de plus concernant la nature de cet étrange contrefort. Après la disparition du coeur de l’arbre les bourrelets de recouvrement d’un ancien lambeau de tronc se sont repliés sur la face interne jusqu’à se toucher…

Cette autre section très fine, quasi serpentine, est d’autant plus intrigante qu’elle semble s’être enroulée autour de la charpentière[41] qu’elle rejoint par le sommet…

Certains vieux arbres peuvent être totalement creux, le duramen ayant été évacué naturellement, par érosion, ou retiré par l’homme.
Mais dans la plupart des cas subsiste de l’humus, résultat de la décomposition du coeur, ainsi que de matériaux accumulés avec le temps (feuilles mortes, entre autres).
Certaines espèces d’arbres[28] ont la capacité de générer des racines à l’intérieur même du tronc[30], afin de puiser dans cet humus.
La chose est déjà fascinante en soi, mais devient carrément spectaculaire quand les-dites racines atteignent, avec le temps, des dimensions imposantes.
Ce phénomène, couplé à celui des bourrelets de recouvrement, offre ici le spectacle d’un fantasmagorique entrelacs de formes tarabiscotées. Impression ambivalente d’avoir affaire, tantôt à des viscères ligneuses, tantôt à des arbres enchevêtrés les uns dans les autres à la manière de poupées russes[29]!…

Suite à un traumatisme ou à un stress un arbre peut émettre des rejets : sorte de bouquet de rameaux jaillissant en périphérie d’une zone lésée, voire des branches, du tronc[31], ou de la souche ; le but étant de compenser la perte des capacités photosynthétiques (casse, élagage, abattage), de croître, ou au contraire de préserver/économiser ressources et énergie (ex:« descente de cime »[44]).
À dimensions similaires les rejets se distinguent assez aisément d’anciennes branches qui présentent des formes plus sinueuses et étalées et une écorce plus épaisse et texturée (croissance bien plus lente).
L’observation de ces différentes structures nous permet de reconstituer en partie le vécu de l’arbre, de déceler un stress passé, de deviner les casses ou tailles qu’il a pu subir.

Tous les rejets ne survivent pas et la plupart disparaissent par élagage naturel (quand ils ne sont pas coupés par l’homme) lorsqu’ils sont encore de dimensions modestes ; les plus vigoureux, quant à eux, peuvent devenir à terme assez imposants. Certains peuvent même ressembler à de petits arbres, présentant un pseudo-tronc vertical et rectiligne surmonté d’un houppier.
Phénomène particulièrement frappant concernant notre tilleul, dont l’un des rejets ressemble à s’y méprendre à un arbre ayant poussé dans l’arbre[32].


De longue date, ce tilleul a éveillé l’intérêt: étape touristique au XIXème siècle[21], illustration dans la monographie de Douvaine, classement aux monuments historiques en 1925[15], cartes postales anciennes, étayage[13] et haubanage[6], label Arbre Remarquable de France en mai 2001[14], pose de panneau, candidat au concours de l’Arbre de l’année en 2019[16], …

L’intérêt porté par la commune à son arbre est rassurant. Toutefois, certaines mesures importantes seraient à engager.

L’état du sol autour du tilleul pose problème[33]: terre battue très compacte dommageable au système racinaire qui a besoin d’oxygène. L’asphyxie des racines est un paramètre quasi systématiquement ignoré dans la gestion des arbres urbains (avant tout par méconnaissance). En outre, par le nettoyage régulier du pied de l’arbre le substrat s’appauvrit petit à petit.

→ Il faudrait pouvoir décompacter le sol et reconstituer un minimum d’humus (apport de mulch/brf et non-évacuation des feuilles mortes à l’automne)… Dans l’idéal l’espace devrait être clos[43] et l’accès au tronc limité (chemin unique), afin d’éviter le piétinement (la pose d’un platelage surélevé est une autre option)…

Toutefois la chose est politiquement malaisée: l’humain tolère mal, en général, qu’on lui interdise l’accès à un espace public, fut-ce pour de bonnes raisons. Par ailleurs, reconstituer de l’humus serait perçu par certains comme une négligence, une atteinte à la « propreté » du site.
Aussi anecdotique que cela puisse paraître, ces comportements et opinions, largement répandues, nuisent à la bonne gestion de notre patrimoine arboré: les communes soucieuses (à juste titre) de l’avis des administrés ont souvent du mal à sauter le pas en prenant des mesures qui pourraient s’avérer impopulaires.
Néanmoins, la gestion exemplaire du Chêne de Tougues devrait nous encourager dans cette voie: si l’information circule efficacement le changement peut être positivement perçu…

Autre problème à signaler: l’un des étais s’est déplacé depuis 2014 (voir ce comparatif). Est-il prévu de le redresser? De le remplacer?…

Galerie

Localisation: cliquez ici
GPS: 46°18’19.3″N 6°17’57.1″E
Accès: très facile. Parking en face de l’église ou devant la poste à 150 m. Lors de votre visite ne loupez surtout pas, juste à côté (à ~80m du tilleul) le Platane du manoir Chapuis.
Douvaine est à 19km de Thonon, ~17km de Genève, ~60km d’Annecy, ~180km de Lyon…

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Tilleul de Sixt

Mises à jour en fin d’article.

Le Village de Sixt-Fer-à-Cheval, dans le haut-Giffre, est surtout connu pour son abbaye et ses paysages grandioses (cirque du fer-à-Cheval, cascades), mais la commune abrite un autre joyau méconnu[1] :
un Tilleul séculaire.

LithographieSitué en plein coeur du village cet arbre classé[2], un Tilleul à grandes feuilles[3], serait âgé de plus de 400 ans, voire 500. Possible mais difficilement vérifiable.
Une expertise dendrochronologique[4] réalisée cette année n’a pu conclure qu’à un âge minimum de 157 ans, faute de pouvoir compter tous les cernes de croissance[5].

Côté archives: un article de « l’indicateur de la Savoie » du 17 octobre 1896 parle du « Tilleul séculaire » ; Achille Raverat écrit, en 1872 : « …au devant, étend son ombrage un tilleul âgé, dit-on, de plus de quatre cents ans… » ; on peut lire en 1865 sous la plume d’Adolphe Joanne : « La place est ornée d’un tilleul aussi beau que celui de Samoëns » ; en 1821 F.J Martin écrit : « Sur le devant de l’abbaye est une place ombragée d’un beau tilleul » ; de vieilles lithographies du milieu du XIXè siècle (image ci-dessus) montrent un arbre déjà imposant[6]

… Nous pouvons en déduire un âge en tous les cas supérieur à 200 ans. Certainement bien davantage (estimation personnelle > entre 270 et 420 ans)…

Bien qu’encore imposant avec ses 5,55 mètres de circonférence cet arbre n’est plus que l’ombre de lui-même.

Ayant subi une forte intoxication au sel de déneigement[7] ce tilleul dépérit depuis 2005, année où les premiers symptômes du mal ont été décelés[8]. Dès l’hiver 2005/2006 un périmètre de non-salage a été établi autour de l’arbre, mais cela n’a pas empêché son déclin.

De grosses chutes de neige à l’hiver 2011/2012 entraînent la casse d’une branche de grosse section. La nouvelle expertise[7] réalisée dans la foulée se fait désormais alarmiste et conclue ainsi: « dans la mesure où cet arbre n’offre plus aucune vitalité ni aucune capacité à réitérer de nouveaux tissus vivants, aucune alternative à l’abattage n’est envisageable pour garantir sa tenue mécanique et la sécurité des lieux. ». Se basant alors sur cette conclusion la municipalité décide de lancer rapidement, début 2012, une procédure officielle afin d’abattre le vieux Tilleul.
La démarche n’est pas si simple car cet arbre étant classé la demande doit être validée par l’inspection des sites. De plus l’État et la mairie semblent s’opposer sur l’après abattage: le maire rejetterait l’idée d’une replantation, quant aux services officiels leur position serait la suivante: aucun abattage ne sera autorisé s’il n’est suivi soit d’une replantation, soit de l’installation d’un élément rappelant l’existence de cet arbre (informations à confirmer).
Il semblerait, pour des raisons de priorités budgétaires, que ce projet soit temporairement reporté (cela ne signifie toutefois pas l’absence d’abattage entre temps)…

Statu quo depuis 2012. Le Tilleul quant à lui, au fil des différentes tailles sanitaires, a perdu son houppier d’origine. Désormais le vieil arbre ressemble à une sorte de Totem tricéphale. Apparence qui ne manque pas d’une certaine beauté, mais ne rend pas hommage à sa splendeur d’antan.

Après cette chronologie objective des événements, quelques remarques personnelles qui n’engagent que moi:

Si je ne contredis pas l’expertise sanitaire (je ne dispose pas des connaissances pour le faire et n’en ai, de toute façon, pas l’intention), la lecture de la conclusion du dernier rapport, proclamant «l’absence d’alternative à l’abattage», me laisse dubitatif.

Pourquoi abattre cet arbre?
Deux arguments sont avancés >    1) il est « mort » (sic)    ,  2) il est « dangereux »

1) Certes l’arbre est mal en point et peut-être condamné à moyenne échéance. Toutefois, et j’ai pu le constater en ce mois de juin, l’arbre est toujours vivant et présente plusieurs bouquets de feuilles d’apparence saine. Je sais que cela n’est pas forcément signe de rémission, mais il serait intellectuellement malhonnête de prétendre que l’arbre est « mort » (comme j’ai pu l’entendre et le lire), et de se servir de cet argument pour précipiter son « démontage »[9] !

Pourquoi ne pas laisser à cet arbre une chance, si maigre soit-elle, de récupérer? Et s’il est réellement condamné, pourquoi ne pas l’accompagner ; lui permettre de terminer tranquillement (si je puis dire) son existence ?… N’est-ce pas le moindre des respect dû à un être vivant aussi âgé? (que dirait-on s’il était préconisé d’euthanasier les retraités dès les premiers signes de faiblesse?)
Qu’en est-il alors de l’argument sécuritaire?…

2) La fragilité des grosses charpentières semble avérée et il convient effectivement d’éviter un drame. Il est toutefois envisageable de rabattre progressivement la hauteur de l’arbre[10] sur plusieurs années (le bouquet de feuilles présent à 3m de haut pourrait peut-être, avec le temps, reformer un houppier?) tout en établissant un périmètre de sécurité non accessible aux piétons. Périmètre qui pourrait parfaitement s’intégrer au projet de rénovation du centre du village.

Les arguments sanitaires & sécuritaires ne permettent donc pas d’affirmer « l’absence d’alternative à l’abattage ». Il s’agit davantage de questions politiques et économiques (voire idéologiques)  que d’une nécessité impérieuse.

Ces quelques remarques se discutent et je conçois parfaitement qu’on puisse envisager de couper ce Tilleul. L’arbre est déclinant et dangereux certes, mais affirmer l’absence d’alternative à l’abattage est un peu fort! Reconnaitre le caractère subjectif de cette assertion est très important car cette conclusion implacable est au coeur du dossier…

N’hésitez pas à poser des questions, proposer des solutions, ou tout simplement à manifester votre intérêt pour cet arbre auprès de la mairie de Sixt:
secretariat(a)sixtferacheval.com  /  mairie(a)sixtferacheval.com
tel: 04 50 34 44 25

juillet 2015  > Je suis retourné voir le Tilleul en ce début juillet, et quel soulagement! Vu son état précaire et cette canicule interminable je m’attendais à ne retrouver qu’une carcasse desséchée.
Au contraire, à mon grand soulagement, l’arbre semble ne pas trop souffrir de cette sécheresse (peut-être certaines de ses racines atteignent-elles la rivière, distante d’une 20aine de mètres?). Notre tilleul a même gagné en végétation, plus particulièrement au niveau des bouquets de feuilles au sommet du fût, avant le départ des trois grosses charpentières (voir cette comparaison 2014-2015). Peut-être pourra-t-il à terme reconstituer un houppier à partir de ces rejets, comme ce fut le cas pour le Tilleul de Saint-Sixt (voir ici). À noter que notre arbre a aussi gagné, en une année, 1cm de circonférence. Tout cela est fort encourageant!

juin 2016  > Bonne nouvelle, le tilleul continue à gagner en végétation, lentement mais sûrement (voir ce comparatif). L’un des gros bouquets de rejets au sommet du fût a été coupé (voir cette image), dans quel intérêt? Esthétique? Il aurait pourtant été plus sage de le préserver, si l’on veut, à terme, abaisser le centre de gravité de l’ensemble (voir l’exemple du Tilleul de Saint-Sixt). Si les grosses charpentières venaient à se briser, ou devaient être coupées par précaution il serait vital que l’arbre affaibli dispose d’un maximum de rejets au sommet du fût…

juin 2018  > Une des trois charpentières, déjà morte en 2016, entraîne avec elle le dessèchement progressif du tronc à sa verticale (indices révélateurs: base écorcée et rejets malingres. Voir ce schéma). La dévitalisation complète de cette section semble désormais inéluctable, et ce, probablement, à très court terme. Même amputé d’une partie de sa structure l’arbre peut parfaitement survivre (le houppier continue même à doucement s’étoffer), mais le risque ici est mécanique car la disparition de la charpentière sèche (qu’il s’agisse de coupe préventive ou de casse accidentelle) déplacera le centre de gravité de l’ensemble et ne permettra plus le haubanage actuel en trois points ; la partie restante se retrouvera en surplomb, avec dès lors un risque élevé d’effondrement total.
La préservation des rejets à la base de l’arbre est donc vitale !

mai 2019  > L’arbre a été abattu!

L’effondrement d’une charpentière en décembre 2018 a hélas scellé le sort de l’arbre[11]. Cet évènement spectaculaire était parfaitement prévisible (je l’avais moi-même anticipé, la mairie aussi d’ailleurs[12]) ; prévisible donc évitable.
L’heure n’est plus à la polémique, à quoi bon désormais ; je reste toutefois convaincu, contrairement à ce que certains peuvent affirmer, que cette issue était évitable et qu’il s’agissait davantage d’un choix politique/idéologique/urbanistique que d’une fatalité…

Localisation: cliquez ici
Accès: Facile. L’arbre se situe en plein coeur du village. …

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