Ces dernières années, et jusqu’à très récemment, je n’avais pu découvrir d’érable champêtre franchissant 2,25 m de circonférence. Je savais pourtant que l’espèce pouvait dépasser les 3 mètres, voire exceptionnellement 4 m(1), alors je ne perdais pas espoir de dénicher, un jour ou l’autre, un gros érable haut-savoyard.
Fin septembre je rencontrais mon premier Acer campestre nettement remarquable ; et avec une avance confortable: affichant 2,76 m de circonférence il dépassait de 51 cm mon précédent record (voir cet article). Je ne pensais pas en découvrir de comparables de sitôt…
Ce record aura finalement tenu à peine plus de 2 mois.
(C’est ça qui est chouette avec la prospection sur le terrain: J’ai beau planifier au millimètre près mes expéditions il y aura toujours de l’inattendu)
Début décembre je me rendais au pieds des Voirons, sur la commune de Machilly, pour visiter des sapins que l’on m’avait signalé.
Je n’ai pas trouvé ces arbres, mais ma visite me réservait une surprise.
Une triple surprise devrais-je dire, se présentant sous la forme d’un ensemble de trois érables champêtres situés aux abords de la ferme du Sauget(2), plus exactement au départ du chemin rural de la vacherie en amont de la bâtisse (deux d’entre eux poussent côte à côte, le dernier se trouve un peu plus haut, de l’autre côté du chemin).
Le principal critère de remarquabilité à retenir ici est, vous l’aurez deviné à mon introduction, celui des dimensions, du moins en ce qui concerne les deux plus imposants du trio qui, du point de vue de leurs circonférences, se rangent à la première et deuxième place du classement des plus gros érables champêtres du département!(3)
Le premier affiche 3,16 m de tour, soit 1 mètre de diamètre! Vraiment très impressionnant pour de l’Acer campestre.
Sa hauteur, environ 17 m, bien que supérieure à la moyenne, n’est pas pour autant exceptionnelle(4) (les deux autres érables présentent des hauteurs moindres).
Un renfoncement du tronc, orienté verticalement et souligné par une ligne de mousses, confère à cet arbre un aspect d’énorme fermeture-éclair ligneuse.
Pourrait-il s’agir de deux arbres (où de deux tiges du même arbre) soudés?
Difficile à dire. Possible, mais dans ce cas pourquoi les deux troncs seraient-ils restés bien parallèles avant de se séparer brusquement vers 2 mètres de haut?
La présence de champignons lignivores(5) au niveau de la fourche (voir cette image) nous permettrait-elle d’envisager d’autres hypothèses:
S’agirait-il de bourrelets ligneux visant à circonscrire la partie touchée?(6)
Ou alors la sève, n’irriguant plus les parties attaquées emprunterait-elle de nouveaux chemins prioritaires de part et d’autre de de cet axe central, formant avec le temps ces excroissances donnant une impression de séparation du tronc?
N’étant pas spécialiste en physiologie végétale je ne peux qu’émettre des suppositions.
(avis bienvenus)
Quoi qu’il en soit l’aspect général est bien celui d’un arbre unique.
Le deuxième érable ne franchit pas la barre des 3 m mais reste saisissant avec ses 2,82 m de circonférence(7).
Légèrement penché côté chemin cet érable présente une structure un peu similaire au précédent: l’aspect fermeture-éclair, certes moins prononcé, est tout de même bien visible (même remarque que précédemment. Mais là, en revanche, pas de champignons).
Le plus modeste des trois arbres, quant à lui, se distingue davantage par la beauté de son tronc sinueux que par sa taille. Il affiche tout de même une très honorable circonférence de 2,18 m.
Les dimensions des deux plus gros érables suggèrent des âges assez élevés, du moins pour l’espèce Acer campestre qui dépasserait rarement 150 ans(8). Toutefois ces arbres vigoureux ne présentent pas des physionomies de vieillards et sont peut-être moins âgés qu’on ne l’imagine (peut-être un indice en faveur de l’hypothèse des troncs soudés?). Difficile donc de leur donner un âge, mais en tout cas ces arbres ont vraisemblablement dépassé le siècle d’existence(9).
Leur état sanitaire semble correct. On note un peu de bois sec, la présence de gui et les stigmates de quelques branches coupées.
Ces arbres mériteraient d’être mis en valeur et débarrassés des divers objets entreposés à leurs pieds, non seulement dans un but esthétique, mais aussi parce que certains éléments, comme de gros blocs de pierres, pourraient par leur manipulation engendrer des blessures.
La consultation des plus anciennes photographies aériennes (1935) ainsi que des cadastres de 1901 et 1934(10) ne nous apprend pas grand-chose sur ces arbres, si ce n’est que le lieu n’a quasiment pas changé en un siècle et que ces érables n’étaient pas utilisés comme limites de parcelles (« pied cornier »).
Galerie
Localisation: cliquez ici
GPS: N46°14.592′ E6°20.781′
Accès: Assez facile. Depuis Bons-en-Chablais où Langin rejoindre le hameau des Granges, puis continuer sur la route du Sauget. Après ~800m, possibilité de se garer sur la droite. Marcher sur environ 1 km pour rejoindre la ferme du Sauget.
notes:
1) Je n’ai connaissance que d’une poignée d’individus, dans toute l’Europe, franchissant la barre symbolique des 5 mètres.
2) Ferme non-habitée. Sert visiblement à stocker du matériel agricole et du foin.
3) En l’état actuel de mes investigations. Restons prudents, il est toujours possible de trouver plus gros ; mais au delà de 3 m de tour je pense qu’il est peu probable de découvrir de nombreux challengers.
4) L’espèce dépassant rarement les 15 m (cf « Larousse des arbres » Jacques Brosse / « Flora Helvetica » / « livre des Arbres, Arbustes & Arbrisseaux » Pierre Lieutaghi).
5) Du moins je suppose qu’il s’agit de champignons lignivores, c’est à dire qui se nourrissent « de bois humide, en causant sa décomposition ». Cet endroit, au départ des deux grosses branches, est une zone d’écoulement évidente. Mais n’étant pas spécialiste des champignons je ne saurais être catégorique.
6) Les arbres en effet ne cicatrisent pas comme les animaux: ils ne reconstituent pas les tissus lésés où morts mais les recouvrent d’un bourrelet cicatriciel visant à les isoler du milieu extérieur.
7) Mesuré au plus étroit.
8) « Larousse des arbres » Jacques Brosse. Certains arbres peuvent aller jusqu’à 200 ans, très exceptionnellement plus. Un érable Polonais serait âgé de 335 ans.
9) houppiers déjà bien visibles sur un cliché aérien de 1935. Voir lien ci-dessous.
10) voir ce comparatif.