Situé à l’extrémité nord-est du département, aux portes du Valais suisse, Novel est un petit village montagnard niché au coeur du vallon encaissé de la Morge[2], relié au bord du lac Léman qu’il domine de 600 m par une unique route restée longtemps peu praticable. Du fait de cette topologie particulière les habitants de cette commune, la moins peuplée de Haute-Savoie[3], durent probablement vivre, jusqu’à relativement récemment[11], en quasi autarcie.
Ces conditions particulières sont à l’origine d’une autre singularité[1] , celle qui nous intéresse ici: une étonnante concentration d’arbres remarquables unis par une histoire commune:
les têtards
Têtards, trognes, ragosses (…) sont des arbres à l’apparence bien étrange: un tronc trapu surmonté d’une (ou plusieurs) touffe(s) de fins rejets hirsutes et denses[5].
Cet aspect caractéristique est du à la coupe cyclique des branches dans le but de fournir du bois pour de nombreux usages: chauffage, fagots pour le fourneau, vannerie, manches d’outils, piquets, etc ; les feuilles, quant à elles, sont souvent utilisées comme fourrage. Préserver l’arbre permet une repousse rapide des rejets, augmentant ainsi la fréquence des récoltes, ce qui n’est pas le cas avec un abattage pur et simple (la récolte d’arbres de futaie en sylviculture classique se compte en décennies, voire en siècles ; alors que le cycle de taille des têtards se compte en années).
Les trognes sont relativement communes, et même abondantes dans certaines régions de France, mais il s’agit la plupart du temps d’arbres isolés, d’alignements ou de petits groupes, rarement de peuplements. En forêt, dans une même logique de récoltes fréquentes et régulières, il est bien plus commun de rencontrer des « taillis » : boisements souvent impénétrables formés de ligneux cycliquement coupés au niveau du sol ; les souches couvertes de rejets sont appelées « cépées » (voir ce schéma). Mais les jeunes, tendres et appétissantes pousses ne sont pas à l’abri de la dent de l’herbivore, sauvage ou domestique, d’où l’intérêt d’une taille en hauteur (d’un taillis perché en somme).
Il existe un fort a-priori négatif concernant la culture des trognes, pourtant ces coupes cycliques ne nuisent pas forcément à l’arbre et semblent même accroître sa longévité en transformant l’arbre-individu en arbre-colonie[4], pour peu toutefois que cette taille soit bien réalisée, précoce et non interrompue. Malheureusement ces pratiques rurales sont peu à peu abandonnées, mettant en danger les vieux têtards qui sous le poids des grosses branches non récoltées finissent par casser[13], s’écrouler, et dépérir.
Si leur avenir est incertain, les vieux têtards abandonnés ne manquent pas de pittoresque: formes fantasmagoriques ; troncs massifs, creux, souvent ouverts ou divisés en plusieurs morceaux, coiffés de grosses branches biscornues.
Outre leurs dimensions, leur étrange beauté et leur valeur patrimoniale ces arbres présentent l’intérêt d’être de véritables oasis de biodiversité: mousses, lichens, fougères et autres plantes épiphytes ; batraciens, insectes, rongeurs, oiseaux, reptiles, etc. Un foisonnement de vie rendu possible par la multiplicité d’abris et de micro-biotopes que constitue l’imposante et anfractueuse masse ligneuse d’un têtard: tronc creux, branches sèches, évidées, boursouflures, cavités, bosses, rugosités, fissures, dépressions pleines d’humus, petites poches d’eau, etc…
La présence d’un nombre élevé de têtards sur la commune reflète le mode de vie et les pratiques passées de ses habitants. Il s’agissait pour les Novellands de rentabiliser au mieux les faibles ressources disponibles (surfaces de culture limitées, fortes pentes, isolement du village…). La conduite en têtard des hêtres permettait donc sur un même espace d’obtenir du bois et de faire pâturer le bétail. La commune était, à ce titre, un modèle de « sylvopastoralisme ».
La richesse en têtards est ici exceptionnelle. Novel pourrait en effet abriter entre 1000 et 5000 trognes au total![23]
343 spécimens inventoriés à ce jour (les plus remarquables).
→ cliquez [ici] pour accéder à une carte interactive.
Ces têtards pourraient être divisés en deux catégories:
A) Peuplements forestiers de hêtres.
B) Arbres disséminés en forêt, isolés ou en petits groupes près des habitations et le long des chemins. Principalement des érables sycomores.
(A)
Peuplements forestiers
Hêtres (Fagus sylvatica)
Ces peuplements sont situés au dessus de la commune, dans des secteurs à forte pente[12] (au point d’être par endroits difficilement praticables).
L’impression générale est assez… magique.
Décor fabuleux, magnétique, fantasmagorique, semblant tout droit sorti d’un conte fantastique ; je serais à peine étonné d’apercevoir en ces lieux, par un demi-jour brumeux, quelques lueurs fantomatiques, d’entendre d’étranges mélodies éthérées, ou de découvrir, surgissant d’une vieille trogne, un être sylvain surnaturel.
Ce vieux peuplement est très probablement unique en Haute-Savoie[20].
Hypothèse d’autant plus vraisemblable que dans l’absolu les forêts de têtards sont aujourd’hui devenues fort rares[27]. En dehors des célèbres peuplements pyrénéens[21] il existe encore en France quelques populations disséminées de trognes[22], mais leur étendue est assez limitée : de l’ordre de « plus ou moins 1 ha » me confie Dominique Mansion, spécialiste reconnu des arbres têtards, qui ajoute qu’il faudrait alors davantage parler de « boisements ou petits bois ».
À Novel on peut légitimement parler de « forêt » car à ce jour la superficie déjà explorée[7] des peuplements purs (ou à forte dominance) de hêtres têtards s’élève à environ 22 hectares (soit ~ 75% à 80% de la surface potentielle estimée).
Un site exceptionnel donc!
Les forêts de la commune sont bien plus vastes encore[26], mais au delà des secteurs situés au dessus du village les essences se diversifient et les trognes sont moins nombreuses.
Peut-on toujours parler de « forêts de têtards » ?
Il serait plus prudent d’évoquer des « forêts à/avec têtards » (nuance importante, il me semble, pour préciser le degré de remarquabilité/rareté du site).
Plusieurs secteurs demandent encore à être explorés ; s’il est peu probable qu’ils soient aussi riches en trognes il reste vraisemblablement de très nombreux spécimens remarquables à découvrir…
Côté dimensions: les hêtres de plus d’un mètre de diamètre sont assez répandus ; statistiquement bien plus rares au delà de 4 mètres de circonférence ; ils ne sont, à ce jour, qu’une poignée à dépasser les 5m.
Voir graphique ci-dessous des circonférences relevées (mise à jour : novembre 2022).
Ces têtards pourraient être âgés en moyenne de 150 à 200 ans ; les plus vieux spécimens dépassant manifestement cette limite, peut-être jusqu’à 300 ans.
Il n’est pas fondamentalement impossible que quelques fayards soient encore plus âgés (350 ans? 400 ans? Davantage?)[17] mais il faut rester prudent car on entre alors dans une zone floue de spéculation qu’à ce jour bien peu de données solides permettent d’étayer.
Ces arbres sont, en majorité, dans un état sanitaire très moyen, et faute d’entretien sont voués à s’écrouler sous le poids des vieux rejets…
Je me suis permis de baptiser les plus intéressants : la Météorite, le Diapason, l’Orgue, l’Hydre, le Pommeau, la Gorgone, le Pilier, le Gnome, Lancelot, la Sentinelle, Harionago, Jejyll, la Corolle, la Limace, la Bogue, la Barrique, Clotho, Beorn, la Pieuvre, Orthos, la Licorne, Saï, le Chamois, Arachne, Janus, l’Oursin, Mafflu, etc (à voir dans la galerie).
Il est bien évidemment impossible de dresser le portrait de tous les fayards remarquables qui peuplent la commune (d’autant plus que l’inventaire actuel est encore lacunaire).
Je me contenterai ici de vous présenter succinctement les plus admirables :
~ Cthulhu ~
Je croyais bien cerner le potentiel de la commune, régulièrement visitée depuis 2014, pourtant je ne m’attendais vraiment pas à tomber sur un fayard aussi énorme. Le décamètre affiche en effet 6,50 m[14] de circonférence vers la base, au plus étroit! Puis après ramification[19]: 4,90 – 3,02 – 2,93 m. Des dimensions exceptionnelles qui le catapultent à la première place du classement au niveau départemental[15] (et de loin).
Forte remarquabilité bien au delà des limites du département car dans l’absolu (à l’échelle Européenne) peu de hêtres dépassent cette mesure[16].
L’arbre est très dégradé, et peu de rejets sont encore feuillés (plutôt en fin de vie donc). Difficile de déterminer son âge, probablement autour des 300 ans.
On remarquera un gros épicéa épiphyte[18] assez haut perché et une belle anastomose horizontale (c’est à dire la soudure de deux partie d’un même arbre. Voir ici). Il n’est pas impossible que cette anastomose contribue de façon fortuite à la solidité de l’ensemble en retenant la partie la plus dégradée qui aurait probablement déjà cédé sous son propre poids sans cette sorte de haubanage naturel…
J’avais prévu de nommer « Hêtre président » ou « empereur » le plus gros fayard rencontré, mais face à un individu aussi hors-norme j’ai plutôt opté pour « Cthulhu », en référence à une créature titanesque issue de l’imaginaire de l’écrivain HP.Lovecraft.
~ Magma ~
Avec 5,82 m de circonférence[24] Magma est lui aussi un Hêtre exceptionnel. Deuxième plus gros fayard de la commune (et du département). Dimensions rares et âge vraisemblablement élevé, avoisinant probablement les 300 ans (estimation prudente, mais il n’est pas impossible qu’il soit plus ancien).
Un arbre qui impressionne par son caractère monumental mais aussi pour son apparence, particulièrement saisissante : tronc sombre, gerçuré, cloqué, creusé, complexement cannelé, évoquant de façon frappante de la lave solidifiée (d’où le nom que je lui ai attribué)…
~ la Chimère ~
Fayard imposant aux formes étranges. 4,26 m[14] de circonférence au plus étroit. Cela paraît peu comparé aux dimensions de Cthulhu, mais il faut noter que cet arbre a perdu une partie de sa structure et devait être autrefois bien plus gros, dépassant très probablement les 5 m de tour, ce que la vue depuis l’amont laisse imaginer (sous cet angle l’arbre paraît avoir 2 m de diamètre).
Dimensions et aspect général suffiraient à le rendre remarquable, mais ce fayard a d’autres cordes à son arc.
Le coeur du tronc en décomposition, riche terreau naturel, a par le passé permis l’enracinement de plusieurs ligneux épiphytes[18] : deux épicéas et un sorbier des oiseaux. L’un des épicéas est très imposant (bien visible sur la photo générale. Tronc rougeâtre et rectiligne au centre). Cette impressionnante curiosité n’est pourtant pas la plus intéressante: comme je l’ai évoqué précédemment ce hêtre a perdu une partie de sa structure, accident ayant exposé le coeur de l’arbre et mis en lumière un fantastique entrelacs de racines, semblables à des entrailles. Les subtiles variations de couleurs et de textures permettent de savoir à qui appartiennent les différentes racines (gris = hêtre / rouge = épicéas / beige = Sorbier. Voir ici).
L’aspect d’intestins lignifiés est frappant, toutefois j’ai préféré trouver quelque chose de plus ragoûtant que « l’éventré » pour nommer cet arbre. la « Chimère » me paraissait plus poétique…
~ Cernunnos ~
Cernunnos est un arbre vraiment superbe et très impressionnant, d’autant plus qu’il est relativement isolé dans un secteur où les têtards se font plus rares. Fût massif, tête assez haute (inhabituel) et très large coiffée de nombreux rejets de tailles et formes variées, certains très étalés. L’ensemble évoque les bois d’un cerf monumental (d’où le nom que je lui ai attribué, Cernunnos étant un dieu Celte cornu).
Circonférence de 4,30 m au +étroit[29].
~ l’ancêtre ~
Moins impressionnant que les précédents car plus tassé, cet individu (je parle de l’arbre bien évidemment) se classe tout de même parmi les fayards d’exception avec 5,47 m[14] de circonférence au plus étroit.
Il se pourrait qu’il ait été bien plus gros car l’aspect du tronc et la dissymétrie de l’ensemble laisse imaginer une masse bien plus imposante. Ainsi, avant effondrement d’une partie de sa structure, il n’est pas impossible que cet arbre ait un jour dépassé les 6 m de circonférence (voir cette simulation).
Malgré quelques rejets relativement vigoureux l’aspect sanitaire n’est pas engageant: seule la tête amont, peu imposante, est encore vitalisée ; les 3/4 de sa masse étant sèche.
Son apparence pittoresque de ruine végétale laisse supposer un âge élevé ; probablement un des plus vieux hêtres de la commune (peut-être plus de 300 ans).
~ le Prince ~
S’il est loin de rivaliser avec les précédents spécimens, autant en âge que du point de vue dendrométrique (circonf 3,96 m[24]), le « Prince » est pour moi un des plus beaux Fayards des forêts de Novel.
Pas d’autres vieux ligneux à proximité immédiate, si bien qu’il a pu développer un houppier majestueux, impressionnant pour un vieux têtard, autant en largeur qu’en hauteur. Un arbre vraiment grandiose!
~ Sigurd et Fafnir ~
Duo de hêtres situés à quelques mètres l’un de l’autre. Le premier est vigoureux, massif, droit, avec deux têtes imposantes coiffées de nombreux rejets. Il mesure 4,55 m[14] au plus étroit. Lui aussi a perdu une partie de sa masse, possible qu’il ait dépassé 5 m de tour avant amputation. Le coeur exposé laisse apparaitre un amas de racines internes assez fines qui, le concernant, évoquent davantage une moustache que des entrailles (voir ici).
Le second est un peu moins gros avec une circonférence de 3,78 m[14]. Il se distingue surtout par sa forme: port penché vers l’aval, en porte-à-faux, presque couché. Beau fût couvert de mousses. Grosse casse récente. Moins fringant que le précédent.
~ les Siamois ~
Têtard trapu, creux, aux formes inhabituelles ; sorte d’amalgame ligneux ajouré dont j’aurais bien du mal à préciser la nature: arbre unique? Plusieurs arbres en partie fusionnés? Quoi qu’il en soit l’ensemble est visuellement frappant, vraiment très pittoresque.
À noter qu’un Sorbier a poussé au coeur de l’arbre. Une partie du tronc ayant disparu les racines du Sorbier se retrouvent à l’air libre, offrant l’aspect d’une méduse ligneuse perchée sur le têtard (voir ici)…
~ la Massue ~
4,42 m[9] de circonférence. Tête et tronc massifs, imposants, rejets élancés et puissants. En bord de chemin, donc très facile d’accès contrairement aux autres têtards.
Présente de jolies anastomoses.
~ le Dragon ~
Arbre superbe, puissant, vigoureux, à la silhouette étrange: Si certains hêtres évoquent le minéral, les formes rondes et sinueuses de cet individu semblent plutôt reptiliennes. Un des plus beaux fayards de Novel!
Circonférence: 3,91 m[14] au plus étroit.
~ la Caverne ~
Si les forêts situées au dessus du village (le Deley, le revers, de Lachau) sont les plus remarquables, car quasi uniquement constituées de vieux Hêtres têtards, les autres secteurs forestiers possèdent eux aussi leurs Trognes, mais celles-ci sont moins nombreuses, disséminées. Paradoxalement leur relative raréfaction peut jouer en leur faveur en maximisant l’impact visuel/émotionnel d’une rencontre.
C’est le cas pour ce Têtard qui semble perdu au milieu d’une forêt d’apparence normale ; spectacle d’autant plus saisissant que ses dimensions sont importantes: 4,50 m au +étroit[24].
Ce fayard est creux comme la plupart des vieux arbres, toutefois ce spécimen présente une véritable cavité, sorte de petite grotte ligneuse dans laquelle un homme peut tenir (je n’ai pas pu résister, vous imaginez bien).
~ le Fossile ~
Un hêtre sec mais toujours impressionnant: énorme masse ligneuse spiralée, noirâtre, craquelée, comme fossilisée. Circonférence de ~5,14 m[9].
Etc…
Il n’est pas impossible que ce prestigieux casting évolue, au gré de mes futures découvertes…
Galerie
(B)
Arbres rares et disséminés en forêt, isolés ou en petits groupes près des habitations et le long des chemins
Érables sycomores (Acer pseudoplatanus) principalement
Si les peuplements de hêtres sont liés à des pratiques sylvopastorales, les têtards isolés, alignés ou en petits groupes, appartiennent probablement à une autre catégorie. L’usage en était peut-être différent. Concernant les spécimens proches du village, leur implantation suggère une possible volonté de délimiter certaines parcelles, toutefois le choix de l’essence questionne: le bois de l’érable aurait-il davantage servi à l’ébénisterie?
Les trognes d’érable sont bien moins nombreuses que les hêtres (environ 15% des arbres inventoriés).
Certains ont des dimensions tout à fait remarquables et semblent fort âgés…
~ le Kraken ~
Le « Kraken » est peut-être l’arbre le plus remarquable de Novel. Un érable exceptionnel, autant pour ses dimensions que pour sa beauté.
Ce monumental têtard mesure 6,28 m de circonférence à la base au plus étroit[24]. Très impressionnant ce chiffre est pourtant loin de donner la mesure du caractère extraordinaire de cet érable, car si la circonférence n’est pas la plus importante pour la Haute-Savoie (7,60 m à la base pour l’érable de La Thuile au Salève[29]), son port très évasé lui confère, et de très loin, la première place en terme de masse ligneuse. On pourrait presque parler d’un gigantesque bouquet de têtards, chaque tête étant aussi volumineuse que la plupart des érables rencontrés sur la commune.
Il présente une vigueur étonnante pour un aussi vieux spécimen. Pas simple de donner un âge à un arbre aussi singulier, mais il me paraît difficile de croire que cet arbre puisse avoir moins de 300 ans.
Un colosse vraiment spectaculaire! Un des arbres les plus remarquables du département, toutes espèces confondues (et qui pourrait légitimement figurer en bonne place dans un ouvrage sur les arbres remarquables de France). J’ai beau avoir l’habitude de rencontrer des ligneux hors-norme, ce spécimen m’a laissé sans voix.
Un grand merci à Pierre Jean Grégoire qui m’a signalé cet érable extraordinaire qui avait jusque-là échappé à mes investigations[28].
~ la Main ~
Les autres érables têtards de la commune sont très loin de rivaliser avec le Kraken, mais ce dernier étant exceptionnel la comparaison n’est pas forcément pertinente. Il ne serait pas très fair-play de snober ces quelques trognes qui dans l’absolu sont tout à fait remarquables.
Le plus intéressant, par son aspect et ses dimensions, est un très bel arbre présentant un beau fût massif de 4,13 m de tour[9]. Son état semble meilleur que la plupart des érables du secteur. Sa forme évoque une énorme main ligneuse aux doigts noueux.
Il n’est pas directement situé en bord de chemin mais à quelques mètres en amont, il vous faudra donc ouvrir l’oeil pour le découvrir :
~ l’Épave ~
Ce spécimen situé en bord de route est en mauvais état. Il présente une circonférence de 6,60 m à la base[8]. Souche massive très vite ramifié en deux gros troncs (3,75 m de tour max)[8]. Peut-être s’agit-il d’une vieille cépée?
Il faut se placer en aval pour bien se rendre compte de la masse de sa base, car vu de la route il n’est pas si impressionnant :
~ les Sauvageons ~
Un duo en bord de route, sous le village, mérite aussi le détour. Concernant ces deux arbres on peut vraiment parler de ruines végétales, tant ils sont abimés, biscornus, couverts de mousses et de plantes épiphytes. Les dimensions sont, elles aussi, remarquables: 4,10 m[8] et 3,94 m[9] :
~ Liéchi ~
En forêt les érables sont plutôt rares, disséminés, et généralement de dimensions plus modestes. Quelques exceptions toutefois comme ce beau spécimen, visiblement assez âgé (circonf 3,90 m)…
Voir graphique ci-dessous des circonférences relevées sur la commune (maj juin 2022).
Galerie
On trouve aussi quelques individus d’autres espèces, notamment un gros Frêne de 3,68 m de tour[10], ou encore un inattendu Orme têtard en forêt (circ 3,11 m).
À Novel les têtards étaient « coupés tous les 4-5 ans dans une proportion de 3 sur 4 » selon Mireil Brouze.
Sur la mappe Sarde de 1732 sont représentés de nombreux arbres stylisés, simples indications de la nature des parcelles ; toutefois certaines d’entre elles sont couvertes de formes étranges, courtes et globuleuses.
Pourrait-il s’agir de têtards ?
Hypothèse fragile mais très séduisante car suggérant une pratique de l’étêtage déjà courante il y a presque 300 ans, et suffisamment singulière pour figurer sur la mappe!
On m’a confié que ces symboles correspondraient aux vergers, toutefois je constate qu’ils sont présents sur de grandes surfaces (~124 hectares. Voir ici), parfois en versant nord, assez éloignés du village et à des altitudes plutôt élevés (jusqu’à 1700 m). Il n’y a cependant pas vraiment de correspondance entre les forêts de têtards actuelles et les parcelles couvertes de ces pictogrammes sur la mappe (voir ici).
Mystère…
Le 19 octobre 1924 Novel fut ravagé par un incendie. La quasi totalité du village fut réduite en cendres, une quarantaine de chalets en tout. Seule une poignée de bâtiments (église, presbytère…) échappèrent au flammes. Les têtards sont donc, avec ces quelques édifices, les derniers témoins de l’ancien Novel ; témoins vivants, qui plus est!…
La commune ayant pour projet de protéger et valoriser son patrimoine arboré remarquable cet article est amené à évoluer en fonction de l’actualité…
Un grand merci à René Adam pour son aide précieuse et son entrain communicatif.
Localisation: cliquez ici
Accès: route unique depuis Saint-Gingolph, sinueuse et étroite, mais bien entretenue. Parking au village où à La Planche. À 25 km d’Evian, 35 km de Thonon, 67 km de Genève…
Pour retrouver les trognes évoquées, rendez-vous sur la carte interactive. Cet article ne traite que des têtards, mais la commune possède bien d’autres arbres d’intérêt. N’hésitez pas à en inclure quelques-uns à votre sortie, comme le fantastique Orme en orgue, ou le Trident de Trepertuis. À ne pas manquer sur la route de Novel, le colossal Orme têtard de Jarcotin (mort depuis peu malheureusement, mais toujours visible)[6]…
notes:
1) La répartition des ligneux remarquables n’est pas homogène d’une commune à l’autre ; ce qui est assez logique étant donné les différences de superficies, d’altitudes, d’accessibilité, de terroirs, de micro-climats, de démographie, d’urbanisation, etc. En tenant compte de ces différents critères il est possible d’établir des estimations assez correctes quant au potentiel en arbres remarquables d’une commune donnée. Mais il arrive aussi de rencontrer quelques singularités échappant aux pronostiques… Comme à Novel.
2) Rivière marquant la frontière entre la France et la Suisse (sur les 2/3 du vallon). « Morge » signifierait frontière, démarcation, limite (voir http://henrysuter.ch).
3) 48 habitants en 2017 (source Insee). Le site de la commune annonce « 58 novellands ».
4) Voir à ce propos les travaux de Francis Hallé.
5) Sur les têtards en général, voir le travail de Dominique Mansion (site).
6) Probable victime de la graphiose.
7) Voir cette carte.
8) Mesure en 2014.
9) Mesure en 2015.
10) Mesure en 2016.
11) « … n’était relié à Saint-Gingolph que par un sentier. Ce n’est qu’en 1939 que fut terminée la départementale 30… » (le Messager – 20/3/1970).
12) Les avalanches sont fréquentes sur la commune, le danger qu’elles représentent non négligeable (sans compter les chutes de blocs). Pour cette raison il était exclu de n’avoir que des pâturages sur les fortes pentes au dessus du village. Maintenir un couvert forestier était donc vraisemblablement une nécessité, et la conduite des arbres en têtard, tout en permettant l’approvisionnement en bois, était peut-être en partie motivée par cette contrainte. Par ailleurs il n’est pas impossible que les têtards aient été plus résistants aux éventuelles avalanches passées que des arbres aux ports plus classiques.
13) Voir cet exemple récent.
14) Mesure en 2020.
15) En l’état actuel de mes connaissances évidemment ; en ne considérant que les troncs uniques car une poignée de multi-troncs dépassent cette mesure.
16) Seulement ~1% des hêtres remarquables inventoriés en France et à travers l’Europe dépassent 6,50 m de circonférence (étude réalisée sur 56580 arbres, multi-troncs inclus).
17) Si on connaît quelques records au delà de 500 ans (Italie, Valle Cervara), il reste exceptionnel que des hêtres dépassent 300 ans.
18) Est dite « épiphyte » une plante qui se sert d’une autre plante comme support. Les têtards sont les hôtes de nombreuses plantes épiphytes, y compris arbustes et même arbres.
19) Vu l’âge avancé de ce fayard et son état de dégradation général il est bien difficile de dire s’il s’agit d’un individu aux ramifications basses ou d’un tronc massif qui se serait fendu avec le temps, mais quoi qu’il en soit je ne le classerait pas en multi-troncs.
20) Avis partagé par l’ONF et par le botaniste D.Jordan.
21) Les célèbres forêts pyrénéennes de têtards sont constituées de chênes ou de hêtres (Sare, Biriatou, Urrugne, Saint-Pée-sur-Nivelle, Aïnhoa, Iraty, Melles, etc)… Voir ce pdf sur la forêt de Sare. Quelques articles à consulter: (1) (2) (3) (4) (5) …
22) « Ailleurs en France (…) des exemples en Bretagne, Saône-et-Loire, Deux-Sèvres, Alsace, Loir-et-Cher, Gers, Alpes de Haute-Provence, Hautes-Alpes… » Dominique Mansion… Voir aussi cet article d’un bois de trognes dans la Creuse.
23) Estimation personnelle qui me paraît plausible (extrapolation à partir des sites déjà visités), mais qui reste bien évidemment à confirmer ou infirmer. Si la fourchette estimée est large, 1000 me paraît un minimum hautement vraisemblable.
24) Mesure en 2021.
25) Il n’est pas exclu qu’il s’agisse simplement d’une simplification graphique permettant de gagner du temps. Hypothèse tout de suite moins séduisante…
26) La surface recouverte par la forêt est de 320 hectares (calcul géoportail). Pour connaître la surface de présence potentielle d’arbres têtards il faudrait retrancher les secteurs couverts de conifères et les bois récents. Au final cette surface potentielle est de 152 hectares. A ce jour j’en ai exploré environs le tiers.
27) Je parle bien de forêts uniquement constituées de têtards, et non de forêts contenant des têtards.
28) Je n’ai découvert cet érable qu’à l’automne 2021, 7 ans après mes premières prospections sur la commune, alors même qu’une précédente expédition m’avait fait passer à moins de 50 mètres de ce ligneux. Comme quoi il faut toujours rester prudent quand on vise à l’exhaustivité d’un inventaire.
29) Voir cet article.
30) Mesure en 2022.
Salut,
Très bel article, riche en données et bien agencé.
Je suis sidéré par cette concentration de trognes. Ce qui est intéressant, c’est qu’en plus d’avoir une incidence sur le taux de croissance, ce type de conduite associé à une exposition nord et à une altitude moyenne de 1100 m diminue encore ce taux et avec de telles circonférences on pourrait effectivement se retrouver avec des spécimens d’âges très avancés.
Pour l’instant les maximums appartiendraient à des hêtres à plus de 1800 m dans les Abruzzes avec 580 ans.
Récemment j’ai constaté l’âge d’un hêtre des hautes-Vosges de plus de 300 ans avec un diamètre de 45 cm et un certain nombre de vieux sujets dépassent les 300 ans sans avoir été élagués.
Une étude en dendrochronologie serait largement à mener sur ces zones.
Salut Sisley.
Merci pour ton commentaire. Mon niveau en anglais n’est pas terrible donc je n’ai jamais pu approfondir comme je l’aurais souhaité la question des vieux hêtres Italiens…
Sais-tu s’il existe des données dendrométriques?
Est-il possible de trouver des photos de ces très vieux spécimens?
As-tu sous la main des études (en français, on peu rêver) évoquant la possibilité de trouver des arbres de 600 à 700 ans?…
Pour rebondir sur ton exemple de hêtre Vosgien j’ai, il y a quelques années, découvert une souche assez modeste (1m70 de circonf au sol), très probablement du hêtre, affichant 304 cernes. La longévité de nos hêtres hexagonaux serait-elle sous-estimée?
Salut,
https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/12538078.2005.10515511
En fait, il pourrait bien y avoir des études en français de ce type, mais bien souvent il faut passer par des universités, pôles de recherches et tout n’est pas accessible.
Pour ce que je sais, c’est que j’ai longtemps uniquement vu des chiffres pour des hêtres de plaines et depuis que je m’intéresse aux zones d’altitudes et/ou plus difficiles en termes de croissance j’ai compris qu’il y a un énorme réservoir des très vieux arbres dans ces zones.
Pour l’Italie on parle d’étages maximales pour l’espèce et de conditions climatiques très contraignantes. Ces spécimens ont des périodes de végétation comprises entre 3,5 et 4,5 mois.
Alors il est très envisageable qu’on ait effectivement des arbres au-delà des 500 ans mais c’est difficile de trop se prononcer pour ce qui pourrait dépasser ces limites connues.
Et non malheureusement je n’ai ni photos, ni données précises autre que les âges. Pour certains arbres creux de cœur on n’obtient pas de mesures complètes et là aussi il faut se contenter d’estimation.
Un lien que j’ai retrouvé mentionnant les vieux individus italiens :
http://www.parcoabruzzo.it/Pdf/progetti/PNALMprogetti27-1.pdf
Selon certains constats, de bonnes estimations montrent qu’une fourchette d’âge comprise entre 600 et 700 ans serait existante dans ces zones étudiées.