le Frêne de Talavé


Situé au coeur du massif des Bornes le plateau des Glières est un plateau calcaire d’une altitude moyenne de 1 450 mètres[10] ; ce qui n’est pas si élevé pour notre département dont l’altitude moyenne est de 1160 m[10].
Pourtant, vu des vallées environnantes le site peut paraître inaccessible.

L’aspect imprenable du plateau des Glières est à l’origine de sa renommée.

Lors de la seconde guerre mondiale[8], profitant de cette topographie particulière, une centaine de maquisards s’y installe pour organiser une résistance que l’on peut qualifier d’héroïque, tant les conditions de vie étaient rudes, l’issue incertaine, et les forces en présence déséquilibrées. La résistance des Glières enflammera les esprits et les imaginations au point de se transformer en un véritable mythe moderne (qui n’est pas sans évoquer, je trouve, l’antique bataille des Thermopyles).


Le site est depuis lors célèbre bien au delà du département – voire même au delà de nos frontières – pour le rôle qu’il a joué lors de ce conflit et comme symbole de résistance à l’oppression…

L’accès le plus connu et le plus emprunté, menant au monument de la résistance, se fait depuis Thorens-Glières ; mais il existe une autre route, plus discrète, au nord-est du plateau, au coeur même des sites les plus chargés d’histoire[11].
Après de nombreux lacets, arrivés au plateau, vous tomberez sur une autre sorte de résistant.

Avec son aspect de ruine végétale d’aucuns auraient du mal à qualifier le Frêne de Talavé de « beau » : port dissymétrique, structure biscornue ; houppier clairsemé ; tronc massif, abîmé, grêlé, couvert de boursouflures et d’anciennes blessures ; charpentières frêles aux nombreuses branches sèches ; le tout couvert de mousses, de lichens et de plantes épiphytes.

Ces défauts apparents lui confèrent pourtant un charme étrange, captivant, une noblesse un peu bourrue.

On ne peut rester insensible face à cet impressionnant Fraxinus marqué par le temps, véritable colosse ligneux surplombant la route, gardien du vallon de Talavé[1] et de son obscur passé.

On pense évidemment aux événements tragiques et glorieux du siècle dernier, aux batailles qui ont eu lieu non loin de là, voire au pied même de l’arbre : le chalet qu’il jouxtait[4] à l’époque ayant vraisemblablement été brûlé par les Allemands[2].

« Le matin du 5 avril [1944] , des jeunes (…) grimpent sur le plateau des Glières, accompagnés par les gendarmes (…) Tandis que la luge redescend, les gendarmes et les jeunes continuent leur avance sur le plateau. Le café des Chasseurs de Mme Bussat est brûlé, de même que les chalets du Talavé et de la Revoue. Quelle désolation ! » [7] 

Il ne reste aujourd’hui de cette bâtisse que la base des murs en pierre, couverts de mousses et masqués par une végétation oblitérant peu à peu ce tragique passé.

Le Frêne de Talavé, témoin vivant (littéralement) de cette époque trouble, symbole de résistance et de résilience, n’aurait alors que plus d’intérêt ![3]

Côté dimensions on a affaire à un véritable colosse.


Il s’agit à ce jour, avec ses 5,51 mètres de circonférence[5], du plus gros Frêne connu de Haute-Savoie[12].

Sa hauteur, 22 m[5], est en revanche plutôt commune.

Il serait âgé d’environ 200 ans[6] ; ce qui est assez élevé pour l’espèce, car si certains individus atteignent des âges très élevés (dans des conditions bien particulières), la plupart des vieux frênes ne dépasse pas les 200 à 250 ans.

Vu sa structure (tronc massif et court, branches de faibles grosseurs) il n’est pas impossible qu’il ait été anciennement taillé. Une photographie aérienne de 1936[9] montre un houppier peu imposant, ce qui pourrait confirmer cette hypothèse.

L’arbre semble encore relativement vigoureux malgré son aspect délabré. De nombreuses plantes épiphytes, dont un petit épicéa et un gros sorbier des oiseaux, y ont élu domicile.

Mise à jour mai 2022 : triste nouvelle, le frêne s’est effondré au sol, probablement récemment[13]. Une partie de sa structure a été tronçonnée et évacuée…

Galerie

Localisation: cliquez ici
GPS: 45.97648 , 6.369887
Accès: par Bonneville (~18km) ou depuis Annecy via Thônes et le Grand-Bornand (~37km). Sur la D12 à ~2km au sud du Petit-Bornand-les-Glières empruntez le pont menant au plateau des Glières. Après 5km de lacets vous arriverez au pied du Frêne.

Arbre signalé par Claude Lebahy, présenté sur le livre « Arbres remarquables en Haute-Savoie ».
Merci à Marc Chuard pour les compléments d’infos apportés.
crédits photos d’archives: glieres-resistance.org / Raymond Perrillat (association des Glières) / fonds Jean Bochard

notes:


1) Toponyme : à définir. « Tal- » peut-être à rapprocher de Talus ? « ancien français talud, talut, latin impérial talutium, « terrain en pente, versant », du gaulois *talo. » (source henrysuter.ch). Talavé pourrait alors signifier pente/talus lavé par l’eau?
2) Bâtisse visible sur le cliché aérien de 1937, mais plus sur celui de 1948. Source IGN. Voir cette chronologie.
3) Symbole de résistance d’autant plus pertinent que nos frênes disparaissent petit à petit, victimes de la chalarose et de l’agrile du frêne.
4) Le chemin déviait légèrement côté chalet et devait alors être directement contigu au frêne (photos aérienne de l’état Major – IGN). Voir le cadastre de 1870.
5) Mesures au 12/09/2017
6) Estimation ONF. Pour ma part je ne trouverais pas invraisemblable qu’il ait dépassé les 200 ans. Peut-être entre 200 et 250
7) « le prix de la liberté » – Michel Germain
8) Dès 1944.
9) Voir cette chronologie.
10) Source Wikipédia.
11) J’ai ajouté la position du frêne sur cette carte réalisée par Alexandre Nicolas (son site: le-cartographe.net).
12) Et parmi les plus imposants de France. Impossible d’établir un classement précis, les données issues des inventaires n’étant pas exhaustives. Mais quoi qu’il en soit bien rares sont les individus au delà de 5 m de circonférence…
13) Extrémité des rameaux encore feuillées.

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