Le terme ’’cerisier’’ peut prêter à confusion car les fruitiers cultivés pour leurs cerises sont issus de deux espèces différentes :
le Merisier – Prunus avium , pour les variétés de cerises douces et sucrées (Bigarreaux, Guignes) ; et le Cerisier/Griottier – Prunus cerasus , pour les variétés à fruits acides (Griottes)[1].
Si le Merisier est un arbre au développement important, le Griottier est en revanche un arbrisseau buissonnant (parfois arbuste, mais rarement). Les différentes variétés de Griottier et de Merisier sont souvent greffées[2] (le bourrelet de greffe est facile à repérer et peut être parfois spectaculaire).
En Haute-Savoie la plupart des fruitiers sont vraisemblablement des variétés de Prunus avium[3].
Par la suite quand j’utiliserai le terme de cerisier je ferai référence au Merisier[4].
Excepté les espèces à fort développement et/ou à longévité élevée (Châtaignier, Olivier, Noyer) Les arbres de vergers sont relativement peu courants dans les inventaires d’arbres remarquables : faible longévité relative, ligneux discrets aux dimensions modestes, difficulté d’accès (vergers privés souvent clos), sont autant de causes possibles de cette rareté apparente.
Parmi ces essences délaissées se trouvent les Cerisiers[5].
Qu’ils soient peu représentés ne signifie pas l’absence d’individus remarquables, il suffit pour cela de consulter les inventaires étrangers (notamment anglais[6]) pour s’apercevoir qu’au-delà des hypothèses évoquées plus haut cette rareté est peut-être aussi liée à l’intérêt qu’on leur porte.
Je dois avouer qu’au tout début de ma quête j’étais moi-même plutôt enclin à focaliser mes recherches sur les espèces potentiellement spectaculaires.
Si je me suis tout de même assez rapidement intéressé aux essences plus discrètes, habituellement délaissées, il m’a pourtant fallu du temps pour dénicher quelques Cerisiers remarquables ; et encore, d’une remarquabilité plutôt modérée[7].
Ce n’est qu’au début de cette année 2021 que les premiers Cerisiers d’exception ont intégré mon inventaire.
Au nord du département, non loin d’Évian, la commune de Saint-Paul-en-Chablais abrite un trio de spécimens exceptionnels, groupés en un même lieu.
Si j’ai repéré ces arbres il y a déjà fort longtemps – car visibles de la route montant au village – je ne les ai visités qu’en début d’année.
Je dois dire que je me sens un peu bête de ne pas m’y être précipité plus tôt, tant ces cerisiers sont extraordinaires.
Situés dans un verger clairsemé en légère pente face au lac Léman, en limite nord-ouest de la commune, ces trois Prunus présentent des dimensions tout à fait remarquables, en particulier deux d’entre eux, à ce jour les plus grosses circonférences relevées pour la haute-Savoie[8].
Le plus impressionnant du trio affiche 3,20 m de circonférence, mesuré au plus étroit[9] (précision importante vue l’irrégularité du fût[16]. La moyenne de trois mesures à des hauteurs différentes est de 3,36 m).
Arbre assez branchu, nombreux rejets, houppier très dense. Son état sanitaire semble relativement satisfaisant vu son âge élevé.
Outre des dimensions record ce Cerisier présente un tronc superbe, d’aspect très pittoresque: très bosselé, vrillé, aux formes noueuses.
Des circonvolutions de son fût émerge une silhouette presque humaine. Apparition étrange, fascinante, belle et inquiétante à la fois.
Le second membre du trio, à peine moins gros que le précédent, mesure 3,17 m de circonférence[10] (moyenne de 3,23 m) :
Cet arbre présente aussi un tronc impressionnant, très bosselé, légèrement vrillé, dévitalisé par endroits, coiffé de trois grosses charpentières, dont l’une semble sécher. Aspect sanitaire moyen. Traces de tailles.
Ces deux premiers spécimens ont présenté une croissance régulière de leurs houppiers jusqu’aux environs de 1984[11], puis une diminution progressive au-delà de cette date (marquant probablement le début de la phase de sénescence? Une information qui peut nous aider à évaluer leurs âges).
S’ils ne peuvent égaliser les records des essences les plus longévives, les merisiers ayant une faible espérance de vie, ces spécimens sont vraisemblablement assez âgés ; peut-être 130 à 150 ans, ce qui serait tout à fait remarquable pour l’espèce[12].
Les hauteurs sont plutôt communes : 11,2 et 10,8 m[13].
Si le dernier membre du trio est un peu plus élevé – 15 m environ – celui-ci se distingue surtout par un houppier très large, impressionnant d’amplitude, alors même qu’amputé en partie (une grosse charpentière manquante. Casse entre 1984 et 1988[11]). Sa surface projetée au sol est actuellement de 280 m²![14] Sa position au sommet d’une légère butte le rend encore plus majestueux.
Son port déséquilibré, au houppier quasi unilatéral, est assez esthétique sous un certain angle. Tronc un peu vrillé, quelques protubérances. Belles racines apparentes en aval de la butte. Un peu de lierre. Aspect vigoureux. Contrairement aux deux autres cerisiers, son houppier continue de croître.
Circonférence moindre que pour les précédents spécimens, mais toujours remarquable: 2,97 m[15].
L’environnement n’a quasiment pas évolué en un siècle, si ce n’est la disparition progressive d’une poignée de petits fruitiers et la présence d’un potager entre les deux plus gros cerisiers entre les années 1950 et 2000[11]…
Galerie
Localisation: cliquez ici
GPS: environs de 46.381876 , 6.609435
Accès: Terrain privé, mais arbres visibles de la route.
notes:
1) À noter qu’il existe des hybrides de ces deux espèces (Prunus x aproniana / Prunus x gondouinii ).
2) Greffés sur Merisier, sur Prunus mahaleb ou encore sur différents hybrides (en fonction de la nature du sol et/ou du type de développement souhaité). Si les merisiers francs (= issus de semis, non greffés) sont communs Le griottier serait rare sous sa forme naturelle.
3) Selon Peter Schwab, en Suisse, la plupart des cerisiers sont des cultivars de Prunus avium ; Au sein du très complet inventaire du Canton de Genève le griottier ne représente que 5,3% du total des cerisiers. Il n’est pas impossible que cette forte prédominance de P.avium soit la même dans le Chablais, hypothèse que le botaniste Denis Jordan juge vraisemblable. À noter, en outre, qu’en France 90% des cerises vendues sont des Bigarreaux, variétés de Prunus avium. On peut donc supposer que le Merisier représente 90 à 95 % des cerisiers plantés.
4) Ou éventuellement au Griottier greffé, mais ma connaissance de cette espèce est quasi nulle (à ma décharge, selon le botaniste Denis Jordan l’espèce est « très rarement subspontannée » en Haute-Savoie)
5) 61 données collectées à ce jour dans les différents inventaires en France, ce qui est bien peu. Bien sûr je ne peux garantir avoir connaissance de toutes les données existantes, toutefois nous sommes bien loin de ce nous pourrions attendre d’une couverture correcte du territoire (estimation personnelle: probablement 200 à 300 individus remarquables, au minimum).
6) 581 arbres sur un total de 1253 données collectées dans les différents inventaires en Europe, soit presque la moitié.
7) Du point de vue de la circonférence les Merisiers sont assez communs jusqu’à ~1,40 m, deviennent localement remarquables aux environs de 1,90 m. Intérêt départemental à partir de ~2,30 m ; forte remarquabilité départementale au-delà de 2,50 m. Concernant mon propre inventaire, à ce jour seulement 8 arbres dépassent ce seuil.
En France, au sein des divers inventaires d’arbres remarquables, bien peu de spécimens franchissent la barre du mètre de diamètre ; et les individus au-delà de 3,60 m de circonférence sont rarissimes.
8) S’il est impossible d’établir un classement exhaustif on peut tout de même supposer sans trop de risques de se tromper qu’aux vues de leurs dimensions les Cerisiers de Forchez sont parmi les plus gros du département ; très vraisemblablement dans les 5 premiers pour les deux plus imposants du trio…
Concernant mon propre inventaire, en l’état actuel de mes découvertes, les Cerisiers de Forchez occupent la 1ere, 2eme et 5eme place.
Le botaniste Denis Jordan a signalé un spécimen de 3,40 m sur la commune de Praz-sur-Arly, à ce jour le plus gros Cerisier connu de Haute-Savoie (toutefois la ramification basse pourrait fausser la remarquabilité).
9) Mesure à ~50cm amont le 4/4/2021. Autres mesures: 3,43 m à 1m30 / 3,45 m à 1m50
10) Mesure au plus étroit, à 1m30 le 4/4/2021. Autres mesures: 3,34 m à 70cm / 3,18 m à 1m60
11) Cf photos aériennes Géoportail. Voir cette chronologie.
12) Certains spécimens exceptionnels pourraient atteindre les 200 ans, mais la plupart des merisiers ne dépassent pas le siècle d’existence.
13) En forêt les merisiers mesurent généralement de 20 à 25 m, parfois jusqu’à 30 m, rarement davantage. Isolés en vergers les individus sont bien moins élevés.
14) Calcul sur site Géoportail.
15) Mesure à 1m30 amont, le 4/4/2021
16) Le « fût » est la partie du tronc située avant les premières branches.