le vieux Chêne de Séchenal

Si en France le chêne n’a pas le monopole des records il peut en revanche prétendre au titre du ligneux remarquable le plus fréquent ; il représente en effet 20,5% des arbres présents dans les inventaires[1]. Conséquence de cette surabondance : le durcissement des critères de remarquabilité. Il est ainsi bien difficile pour un chêne d’obtenir de la visibilité au niveau national tant les seuils d’éligibilité sont élevés[2].

Bien que la Haute-Savoie possède de fort beaux chênes, la plupart des Quercus[16] d’exception se concentrent dans un grand quart nord-ouest de la France[3]. Toutefois un spécimen haut-savoyard possède des dimensions suffisantes pour figurer au panthéon des Chênes hexagonaux. Il s’agit du Chêne de Séchenal [4], situé sur la commune d’Argonay mais emblématique de la commune de Saint-Martin-Bellevue[15].

Ce Chêne pédonculé (Quercus robur), possède un fût massif et court coiffé de nombreuses et énormes charpentières jaillissantes couvertes de mousses. Sa structure paraît plutôt raide et anguleuse, renforçant l’impression d’ancienneté. Il présente de nombreuses blessures et marques du temps, traces de tailles anciennes et stigmate de foudre couturant le tronc sur toute sa hauteur.
L’ensemble offre l’aspect fantastique d’un antédiluvien calmar ligneux couvert de balafres.

S’il ne correspond pas aux canons habituels de beauté on peut en tout cas dire qu’il a du caractère! Un arbre vraiment très impressionnant!

Pour en revenir à ses dimensions : ce Quercus hors-norme mesure 7,43 m[9] de circonférence au plus étroit! Il s’agit à ce jour du plus gros et plus vieux chêne connu de Haute-Savoie[5].
Sa hauteur, plutôt commune, est de 18 m[12].

Difficile de lui donner un âge précis, mais il est en tout cas évident qu’il s’agit d’un très vieil arbre, parmi les plus anciens du département. Au vu de son apparence et de son gabarit ce vénérable ligneux pourrait avoir entre 400 et 500 ans[6].

Chose étonnante (car plutôt rare) le chêne est indiqué sur le cadastre de 1866 (voir ici). Il était alors situé à proximité de la route d’Argonnex (autrefois appelée « la voie Romaine »[17]), entouré de champs/pâtures et probablement d’arbres fruitiers[13]. L’environnement a peu changé jusqu’aux environs de 1980[10].

L’arbre était autrefois appelé « chêne à Cavi » ; Cavi étant le surnom de la famille Ribiollet anciennement propriétaire de l’arbre.
Au milieu du siècle dernier le chêne était très populaire, souvent visité. L’été il n’était pas rare que les colonies de vacances des environs organisent des journées au pied de l’arbre.
Dans les années 50 les enfants de l’école de st-Martin-Bellevue faisaient tous les deux ans, en sortie scolaire, une sorte de pèlerinage au pied du vieux chêne, « il fallait 12 enfants pour en faire le tour, et 6 adultes »[23]. De nombreuses personnes de cette génération doivent avoir conservé des souvenirs de ces sorties…

J’ai finalement découvert bien peu de choses sur l’histoire de cet arbre[14] et les photos anciennes sont rares. Si vous disposez d’infos ou de vieux clichés, n’hésitez pas à me contacter.

Si je lui trouve une relative vitalité au regard d’un âge aussi élevé[7] il faut pourtant reconnaître que ce Quercus est plutôt en fin de parcours. Mais posons-nous cette question: que signifie être en fin de vie pour un ligneux âgé de plusieurs siècles? Que lui reste-t-il à vivre? 5 ans? 20 ans? 100 ans? Difficile d’être catégorique, d’autant plus que la résilience des ligneux est souvent surprenante.
Réflexion qui pourrait paraître accessoire mais qu’il est pourtant essentiel de mener car on confond bien trop souvent arbre sénescent et arbre mourant[20] ; confusion conduisant à des « gestions » parfois dramatiques des vieux arbres.

Son avenir dépend davantage des décisions humaines – passées, actuelles et futures – que de sa longévité intrinsèque. Sa situation, en surplomb de la route[8] dans un secteur résidentiel, confère à l’aspect sécuritaire une importance prépondérante ; problématique parfaitement légitime, mais qui doit être considérée à l’aune de l’importance patrimoniale de cet arbre exceptionnel.
La question de sa gestion n’est, il est vrai, pas simple. Bien qu’emblématique de Saint-Martin ce chêne est en fait situé sur la commune d’Argonay, en terrain privé. La commune de Saint-Martin a signé une convention en 2005 avec la propriétaire ; l’arbre est depuis entouré de toutes les attentions (haubanage notamment). Depuis trois ans la commune d’Argonay a décidé d’en reprendre la gestion. Si cette dernière est à l’origine de son classement en 2017 par l’association A.R.B.R.E.S, ce qui est tout à son honneur, c’est aussi elle qui tout récemment[18] a pris la décision de l’abattre, l’arbre devenant dangereux (conclusion de deux expertises de l’ONF, en 2018 et 2019[21]).

Je ne peux légitimement me prononcer sur l’aspect purement sanitaire car ce n’est pas mon domaine. Je reconnais par ailleurs que la question sécuritaire est très importante. Cependant, l’intérêt majeur de cet arbre, joyaux du patrimoine arboré de Haute-Savoie, ne justifie-t-il pas que toutes les options soient étudiées? (ce qui vraisemblablement n’a pas été le cas: nulle mention d’un possible aménagement visant à sécuriser le site dans les deux rapports de l’ONF ; l’abattage y est annoncé comme la seule et unique solution[22]).
Cet antique Quercus ne mérite-t-il pas d’être accompagné dans sa progressive fin de vie?[11]   La route ne pourrait-elle pas être déviée en aval?[19]   Ne pourrait-on pas établir un périmètre pour protéger l’arbre et les riverains (voir à ce propos le cas exemplaire du chêne de Tougues à Chens-sur-Léman). Le haubanage ne serait-il pas à repenser?

Des questions qu’il est urgent de poser car l’abattage est programmé pour la mi-février 2021. Je vous invite donc à contacter la mairie d’Argonay. Posez des questions, signalez votre attachement pour cet arbre (de manière constructive et respectueuse bien évidemment):
[email protected]
04 50 27 16 82

janvier 2021: une pétition a été créée par Juliette Sportiello, voir ici (plus de 1000 signataires à ce jour).

2 février 2021: le colosse est « tombé »

L’arbre est tombé au beau milieu de la nuit, entre 0h30 et 0h45[24]. Prévenus rapidement les services techniques de Fillières sont alors intervenus[25] entre 1h et 2h du matin pour évacuer le plus gros de la structure ; vite rejoints par des riverains désireux d’emporter un morceau du chêne.
Triste spectacle au matin.

L’inquiétude des élus et de l’ONF quant à la fragilité de l’arbre était donc parfaitement légitime, mais cela ne justifie en rien l’opacité du processus décisionnel et la vision partiale et monolithique ayant mené à la décision d’abattage. Une gestion éclairée, un choix précoce d’aménagement, auraient probablement permis d’éviter cet effondrement.
Je me laisse un peu de temps pour me remettre de la disparition du vieux chêne et je reviendrai sur ces points…

Merci aux riverains et autres personnes pouvant se rendre sur place de me faire remonter d’éventuels témoignages…

Présenté sur le livre « arbres remarquables en Haute-Savoie » (fiche rédigée par C.Lebahy) ce chêne a aussi fait l’objet d’un article sur le blog des Têtards arboricoles (voir ici).

Pour les compléments d’infos, merci à: Castor masqué, famille Ribiollet, Eliane Regat-Mouttier, François Favre-Lorraine, Mr le Maire de Saint-Martin-Bellevue.

Un grand merci à tous ceux qui se sont mobilisés pour cet arbre, en particulier: Christophe Perinot, Yannick Morhan, Lionel Staub, Sabrina Millot (pour leur réactivité et la richesse de nos échanges) / Juliette et Carmen Sportiello, Jacques Martenot (pour leur énergie et leur mobilisation sur le terrain) / Basile (pour sa mobilisation numérique) / René Adam, David Happe, Laurent Peronin, Georges Feterman, Elisabeth Charmot, France Nature Envirronement, etc. Je ne pourrais citer tous les spécialistes des arbres avec qui j’ai échangé (arboristes, paysagistes, botanistes, etc) merci pour les conseils avisés. Et n’oublions pas la foule des anonymes (pour rappel plus de 1000 personnes ont signé la pétition)…

Galerie

Localisation: cliquez ici
GPS: 45.953453 , 6.144378
Accès: à ~10 km d’Annecy, ~35 km de Genève, ~150 km de Lyon . Possibilité de se garer à proximité. À ne pas louper dans le secteur: le gros Marronnier du Château du Barrioz à Argonay (à 2km du Chêne).

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Chênes de Jussy

Quand elle ne suit pas un cours d’eau ou une chaine de montagnes une frontière est une chose imperceptible, abstraite, toute symbolique. Mais il est possible d’en deviner le franchissement par certains détails dans le paysage: affiches, signalétique routière, urbanisme, architecture, etc.
photoDans le Chablais le franchissement de la frontière Franco-Suisse, aux environs de Genève,  s’observe aussi par l’évolution du patrimoine arboré.
Le contraste est frappant concernant les vieux chênes. Sans même parler « arbres remarquables », côté français il est parfois bien difficile de dénicher de gros arbres, disons au delà de 4 m de circonférence ;  alors que côté Suisse le canton de Genève possède plus de 200 chênes aux dimensions remarquables, presque 1arbre/km² ! Le paysage est tout autre, vous imaginez bien.
Si l’on se réfère à l’inventaire officiel de la ville (voir ici) le Canton possède 170 chênes de plus de 5m de circonférence, et 28 de plus de 6 m! (pour 282km² c’est plutôt pas mal)

Mon premier contact avec les vieux chênes genevois a eu lieu dans la commune de Jussy.
Non loin du Château du Crest, à un peu plus d’1km de la frontière, se trouve un groupe d’une 10aine de Chênes pédonculés. L’ensemble n’est pas tout  à fait homogène, ces arbres n’ayant ni les mêmes dimensions, ni les mêmes personnalités.

photo

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A)
Le premier est plutôt discret, car situé en lisière. Il affiche tout de même 5,33 m de circonférence pour une hauteur avoisinant les 20m.

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B)C)D)E)
Les quatre suivants forment un ensemble allant crescendo jusqu’à ~23 m de haut. Si j’étais taquin je les comparerais volontiers aux Daltons. mais je ne suis jamais taquin avec les arbres (qui auraient tôt fait de m’envoyer une branche sur le coin de la tête).
Circonférences: 3,72 – ~5,25 – ~6,40 – 4,46 m. Concernant le plus imposant des quatre j’insiste sur le « environ » tant l’excès de lierre rend la mesure difficile.
La base du dernier arbre, exempte de lierre, laisse admirer la superbe texture de l’écorce… (photo)

F)G) Les deux Chênes suivants n’accrochent pas vraiment le regard. Le premier est en piteux état (c: 4,50m), pour ne pas dire sec. Quant au deuxième je n’ai pu le mesurer (certainement autour de 4,50 lui aussi), la faute au lierre, mais pas uniquement. Soyons fair-play, ce coup-ci l’empêcheuse de mesurer en rond était une magnifique aubépine (Crataegus laevigata) couverte de fleurs… et d’épines acérées.

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H)
Ce chêne se distingue des autres par sa faible hauteur et son port plutôt étalé
(h: ? / c: 4,09m).

 

I) Cet arbre est, je trouve, le plus beau du groupe. Hauteur: ~21/23m / circonférence: 5,49m.

photo

photoJ)K) Les deux derniers, de hauteurs et de ports similaires, font penser à un avant/après, ou encore avec feuilles/sans feuilles; Le premier affiche 4,55 m de tour de taille. Le deuxième, aux branches nues (ce qui ne manque pas de beauté), couvert de Lierre, étant clairement sénéscent. Le doyen du groupe, avec ses 6,22 m de circonférence termine tranquillement sa vie dans la campagne Suisse…

L) En bord de champ, le long de la route de la gara, se trouvent trois autres chênes plus discrets (circ: ~4,82 – ~4,53 – 3,88 m)…
m) La présence d’une poignée de chênes fraichement plantés indique une volonté de préserver ce patrimoine arboré pastoral. Démarche que je serais heureux de rencontrer plus souvent côté français…

Le tableau ne serait pas complet si j’omettais les quelques arbres intéressants dans les proches environs. À quelques centaines de mètres de là, au croisement de la route de la gara et de la route du Château du Crest quelques chênes méritent le coup d’oeil (hauteurs: ? / circonférences: 4,48 – 4,40 – ~4,28 – ~4,03 – 3,93 – ~3,90 – 3,47 m).

Enfin à 500m au nord-est de notre groupe, le long de la route des Beillans, trône un beau chêne.

Ses dimensions> hauteur: env. 20/22 m  –  circonférence: 4,90m

J’aurais aimé connaître l’histoire de ces arbres, mais mes investigations de ce côté sont restées vaines.

photo


Localisation: cliquez ici
Accès: facile > à ~1km à l’ouest de Jussy, au rond point, prendre route de la Gara (1er ensemble d’arbres au carrefour). En continuant sur cette même route où en empruntant la route du Château du Crest vous tomberez sur un parking juste en face du groupe de Chênes Champêtres. Enfin le dernier arbre est visible en bord de route des Beillans à quelques centaines de mètres de là. …