Annecy, préfecture de la Haute-Savoie, est la ville la plus peuplée du département. Outre ses atouts paysagers, historiques et culturels (lac, vieille ville et ses canaux, château, montagnes, festival du film d’animation, etc) la « Venise des Alpes » peut s’enorgueillir de posséder de nombreux arbres remarquables et de beaux parcs. Le plus célèbre d’entre eux se trouve au coeur d’Annecy, derrière l’hôtel de ville et face au lac : il s’agit des Jardins de l’Europe.
L’histoire d’Annecy est fort longue, mais en ce qui nous concerne nul besoin de remonter à l’époque gallo-romaine, ce parc étant assez jeune.
Aux environs du XVIème siècle ce lieu, situé hors des murs fortifiés de la ville, était constitué d’îles marécageuses abritant quelques cabanes de santé où étaient isolés malades contagieux et individus suspects. Le premier propriétaire connu fut une famille de banquier Lombards, d’où le nom de « pré Lombard ».
Au début du XVIIème siècle l’endroit, alors devenu propriété de la famille Nemours, fût aménagé en lieu de « promenade et d’agrément » par le duc Henri de Genevois-Nemours.
En 1644 le Pré Lombard est offert à l’ordre de la Visitation. L’île est dès lors entourée de murs et reliée au monastère par une passerelle. Une représentation d’Annecy du Theatrum Sabaudiae montre une île parfaitement carrée constituée de parcelles jardinées aux lignes géométriques (image ci-contre). Il s’agit d’une vue idéalisée mais qui nous permet toutefois de nous faire une idée de la vocation du lieu : probablement potager, verger, lieu de promenade et de méditation pour les religieuses de la Visitation.
Au siècle suivant la mappe sarde nous offre un aperçu plus réaliste : deux îles, une grande et une petite, aux contours rectilignes au nord et à l’ouest (canaux), mais plus sinueux à l’est et au sud (Thiou, lac). La mappe de 1793 semble indiquer une désaffection progressive des îles au cours du XVIIIème siècle : le pont n’est plus présent et le cadastre se simplifie.
Le pré Lombard devient bien national à la révolution, avant d’être revendu en 1795 à un entrepreneur Genevois. L’île retrouve alors sa nature de « pré marais », parsemée de quelques fruitiers.
Entre 1835 et 1843 le conseil communal acquiert l’ensemble des deux îles et lance un concours en vue de l’aménagement des lieux, mais en raison de conflits d’intérêts rien ne se fera dans l’immédiat.
De 1838 à 1840 le canal qui séparait l’île principale de la ville est comblé faisant désormais du pré Lombard une presqu’île. On y construit une école, puis de 1847 à 1855 l’hôtel de ville.
Les premières plantations ont lieu à partir de 1855[5] au jardin du rond point[6] situé à l’est du parc actuel, face au lac, mais l’aménagement véritable du jardin tel que nous le connaissons aujourd’hui aura lieu à partir de décembre 1863 avec la plantation de plus de 1000 arbustes et 650 arbres. Initialement prévu pour être un jardin à la française, le parc sera aménagé à l’anglaise suite à une pétition des habitants.
Hormis quelques modifications ici et là la structure du lieu a très peu changé depuis cette époque. Il reste toutefois aujourd’hui bien peu de ligneux issus des premières plantations.
Le parc n’acquiert son titre actuel – « jardins de l’Europe » – qu’en 1987.
…
Le jardin était donc initialement constitué de 650 arbres et 1000 arbustes, un nombre important si on considère la superficie travaillée et l’état actuel des plantations. Toutefois il faut imaginer que l’endroit avait à ses débuts un tout autre aspect : Tous ces ligneux étaient jeunes et plantés en massifs denses ; fourrés impénétrables conférant au parc des allures de taillis, ce que l’on peut constater sur les plus anciennes cartes postales disponibles.
Avec le temps de nombreux arbres disparaissent (mort naturelle, aléas climatiques[8], éclaircissements, décisions politiques[9]), les survivants gagnant en dimensions pour progressivement changer l’aspect du parc.
Un inventaire est effectué entre 1860 et 1884.
Les documents officiels signalent qu’aujourd’hui « sur les 432 recensés par L. Devron (sic)[1] il n’en reste qu’environ 280 ». Cette phrase est ambiguë car ces chiffres ne sont pas détaillés.
432 représente certainement les arbres, et non tous les ligneux (sur les 650 individus initialement plantés plus de 200 arbres auraient donc disparu les 20 premières années d’existence du jardin). Quant au chiffre actuel, 280, que signifie-t-il ? Il ne peut représenter que l’ensemble des ligneux, petits et grands, car j’ai répertorié, en 2016, 232 arbres et arbustes. J’en ai peut-être oublié un ou deux, mais pas de quoi atteindre 280.
En réalité il ne subsiste que bien peu d’arbres des plantations originelles, peut-être une soixantaine tout au plus, mais certainement pas 280.
Le jardin contient aujourd’hui ~232 ligneux, soit 81 conifères et 151 feuillus (voir ici). Plus de la moitié est constituée d’essences autochtones (les mieux représentées étant : ifs, charmes et érables sycomores avec respectivement 28, 16 et 11 individus) ou de France méridionale (beaucoup de Laricios, un Micocoulier, etc). Le parc possède de nombreuses espèces d’origine nord-américaine (une 30aine d’individus) ou asiatique (une 30aine d’individus). À noter que l’Amérique du sud n’est représentée que par un seul arbre : un tout jeune Hêtre de l’Antarctique (Nothofagus Antarctica)…
Quelques mots sur les arbres les plus remarquables du jardin
(circonférences mesurées en 2016, hauteurs en 2016 et 2018)
Ginkgo – Ginkgo biloba
circonférence: 3,99 m
hauteur: 24 m
Le Ginkgo, ou « arbre aux quarante écus », est une espèce relique d’origine asiatique[2], seule représentante vivante de la famille des Ginkgoaceae ; découverte en 1690 et introduite en France en 1778/1780(?)[7].
Bel arbre en limite ouest du jardin, du côté de la place de l’hôtel de ville. Tronc épaté et bosselé, houppier un peu déséquilibré par le séquoia voisin.
Sa circonférence, loin des records de l’espèce, en fait tout de même un des plus gros Ginkgos français, car rares sont chez nous les arbres dépassant les 4 m de tour.
Outre ses dimensions remarquables, cet individu possède une autre particularité: le tronc présente des excroissances en forme de stalactites appelées « chi-chi », chose semble-t-il assez inhabituelle chez nos Ginkgos Européens mais très caractéristique des vieux arbres asiatiques (exemple ici).
Très certainement planté dès la création du jardin vers 1863. Vu la longévité de l’espèce cet individu d’un peu plus d’un siècle et demi n’est donc pas très âgé[3].
Superbe en automne quand son feuillage tourne au jaune vif.
À propos de cet arbre, voir l’excellent article de Castor masqué sur le blog des têtards (ici).
Cyprès chauves – Taxodium distichum
circonférences: 3,99 – 3,95 – 3,70 – 2,78 m
hauteurs: 33,6 – 33 – 30 – 29,5 m
Cette espèce de conifère nord-américaine, typique des marais de Louisiane, a été introduite en Europe vers 1640 et en France fin XVIIème.
Les cyprès chauves présentent une particularité liée à leur adaptation aux milieux humides: les « pneumatophores« , excroissances racinaires en forme de stalagmites, émergeant de l’eau afin d’assurer l’oxygénation des racines. Les Cyprès du jardin, au nombre de 4, en sont dépourvus ; mais n’en sont pas moins remarquables. Il s’agit de beaux arbres aux dimensions peu communes. Si en France les gros Cyprès chauves sont plus fréquents que les gros Ginkgos, les individus dépassant les 4 m de circonférence ne sont pas légion. À ce jour ce sont les plus gros exemplaires connus du département.
Leurs formes sont assez similaires: ports élancés, fûts hauts, troncs rectilignes, houppiers ovoïdes.
Le cyprès chauve, à l’instar du mélèze, est un des rares conifères à perdre ses feuilles. Il se pare donc à l’automne de couleurs flamboyantes.
Probablement plantés à la création du jardin.
Noyer noir – Juglans nigra
circonférence: 3,66 m
hauteur: 26 m environ
Le Noyer noir est une espèce originaire d’Amérique du Nord, introduite en Europe au XVIIème siècle.
Il se distingue de notre Noyer commun par une écorce bien plus sombre (d’où son nom) et plus densément/finement texturé ; mais aussi par des folioles plus fines, plus nombreuses, et aux bords dentés.
Le Noyer des jardins de l’Europe présente un port peu harmonieux ; un houppier déséquilibré, clairsemé, d’aspect un peu malingre. Une grosse charpentière est arrachée (ancien?) ; une blessure parcourt le fût sur toute sa hauteur (écorcé). À part ses belles couleurs automnales son intérêt n’est donc pas tant esthétique que dendrométrique, peu d’individus atteignant chez nous un tel tour de taille. Il s’agit actuellement du plus gros Noyer noir mesuré en Haute-Savoie.
Arbre probablement planté à la création du jardin.
Frêne – Fraxinus excelsior
circonférence: 3,95 m
hauteur: 26 m environ
Espèce autochtone.
Arbre situé en lisière sud du parc, face au canal du Thiou et ses emblématiques bateaux touristiques.
Tronc oblique, port penché, houppier large côté Thiou. Beau Frêne photogénique, se détachant sur fond de lac que surplombe le Mont Veyrier.
Hauteur commune. Sa circonférence, sans être exceptionnelle, reste remarquable ; le plaçant parmi les plus gros frênes du département. À noter en outre qu’il est plus fréquent de rencontrer des frênes remarquables en campagne ou en forêt que dans nos parcs urbains où les individus hors-norme appartiennent en général à des essences exotiques.
Probablement planté à la création du jardin.
Saule pleureur – Salix sp.*
circonférence: 3,83 m
hauteur: 14 m
Beau Saule (le seul du parc) presque isolé face au lac, aux branches sinueuses et aux rameaux typiquement retombants. Arbre emblématique des jardins romantiques.
* L’appellation « saule pleureur » est vague/ambiguë et fait référence à des arbres différents. Il s’agirait ici de Salix × chrysocoma, hybride de Salix babylonica et de Salix alba var. Vitellina. , synonyme de Salix × sepulcralis var. Chrysocoma (Kamoulox!), croisement obtenu en 1888… Je serais pour ma part bien incapable de conclure à ce sujet et me contenterai de Saule pleureur.
Vu la faible longévité des Saules il paraît très peu probable qu’il s’agisse d’un de ceux initialement plantés dans le jardin vers 1855, d’autant plus que la croissance de cet hybride est réputée rapide. Les photographies aériennes anciennes ne nous permettent pas de conclure, tout juste peut-on supposer une plantation dans les années 1950, voire 1940…
Blessure visible sur le tronc (écorcé). Aurait reçu la foudre il y a quelques années.
MAJ: l’arbre a été abattu en juillet 2019[10].
Séquoias géants – Sequoiadendron giganteum
circonférences: 5,93 – 5,63 – 5,55 – 5,42 – 4,72 – 4,69 m[4]
hauteurs: (39)* – 38,2 – 38 – 36 – ~33 – 32,6 m
Ces arbres, originaires de Californie, sont remarquables par leur apparence naturellement imposante, toutefois leurs dimensions n’ont ici rien d’exceptionnel au vu des potentialités de l’espèce et des records nord-américains. Même au niveau national il s’agit d’arbres plutôt modestes car en France les plus gros individus dépassent les 10 m de tour et les plus hauts les 50 m! Il s’agit de tout jeunes séquoias probablement plantés à la création du parc et âgé d’~155/160 ans ; les plus vieux individus dépassant les 3000 ans! À noter toutefois qu’en Europe les plus âgés ne peuvent dépasser le siècle et demi, l’espèce ayant été introduite sur le vieux continent au milieu du XIXème.
D’un point de vue dendrométrique absolu ces arbres sont tout de même les plus gros et les plus hauts du jardin. *L’ancien record de 39 m n’est plus d’actualité, l’arbre détenteur du titre ayant depuis été foudroyé (voir cette vidéo impressionnante)…
À noter aussi: de nombreux ifs vraisemblablement contemporains de la création du jardin, un bouleau aux dimensions peu communes (circonf 2,17 m), de beaux et imposants marronniers (jusqu’à 3,58 m de tour), un Hêtre pourpre, des Ginkgos plus modestes, un gros Platane au tronc boursoufflé, un Cyprès de Lawson (bouquet de troncs très esthétique), de Beaux Pins noirs, et quelques espèces/cultivars d’intérêt horticole (Tetradium daniellii / Tilia Henryana / Davidia involucrata / Quercus Phellos / Quercus lamellosa / Nyssa sylvatica / Prunus maackii / etc)…
Les arbres les plus hauts sont tous des conifères = séquoias, Pins noirs, Cyprès chauves. Record actuel aux environs de 38,5 m pour un séquoia (un autre le talonne de près. Ancien record à 39 m pour le séquoia foudroyé), ce qui n’a rien d’exceptionnel pour l’espèce. Hauteur toutefois suffisante pour rendre cet individu localement remarquable, les arbres du parc ne dépassant pas dans leur grande majorité 32/33 m. Conifères assez nombreux à atteindre 30 à 32 m, plus rares ensuite.
En revanche les feuillus sont bien plus petits et dépassent rarement 28 m. Record à ~31/31,5 m pour un Tulipier (ce qui n’est pas non plus exceptionnel pour l’espèce. Le Tilleul de 30 m est à ce titre plus intéressant ; mais aucun arbre du parc n’est remarquable pour sa hauteur).
Galerie
carte interactive des arbres du jardin
Pour une meilleure navigation → voir la carte en plein écran
Sur l’histoire du jardin – sources: « l’Hôtel de ville et son jardin » Marie-Claude Rayssac / « Annecy côté jardin » / Revue savoisienne / archives départementales (cadastre, cartes, mappe sarde) / BNF / Souvenirs historiques d’Annecy jusqu’à la Restauration, par le chanoine J. Mercier / Oeuvres complètes de saint François de Sales – Partie 8-11,T-3) 1821 / l’Indicateur de la Savoie / etc.
Pour les compléments d’infos apportés, merci à: Marie-Claude Rayssac, Claude Lebahy, Christophe Ferlin, Franck Baudier, Jean-Pierre Coudray, archives municipales d’Annecy…
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