le Thuya de Peillonnex

Si je vous dis « thuya » il est fort probable que la première image qui vous vienne en tête soit celle d’une haie taillée au carré(1).

Pourtant, le Thuya n’est pas un arbuste, mais bel et bien un arbre.
Et quel arbre!

Dans son aire d’origine, l’Amérique du Nord(2), le Thuya géant (Thuja plicata) est un grand conifère atteignant jusqu’à 60 mètres de haut(3), avec un tronc pouvant dépasser 5 mètres de diamètre(4)!
Il s’agit-là d’arbres multi-séculaires, voire millénaires(5). Les exemplaires Européens sont bien plus jeunes, car l’espèce n’a été introduite sur le vieux continent qu’en 1853(6). Les plus âgés n’ont chez nous qu’un siècle et demi d’existence, tout au plus.

C’est toutefois bien assez pour devenir de beaux et grands arbres de parcs, et sans égaler leurs cousins américains nos thuyas deviennent parfois tout à fait remarquables. D’autant plus que l’espèce, pour peu qu’on la laisse un peu tranquille (et qu’on arrête de vouloir en faire des haies), est très ornementale.

Peillonnex, situé à quelques kilomètres au nord de Bonneville, dans la vallée de l’Arve,  est une petite commune d’environ 1400 habitants. Le village abrite une église inscrite aux monuments historiques(7).
Cet édifice, datant du XIIème siècle (voire du Xème(15)), était accolé à un prieuré du XIème siècle (un des plus anciens établissements religieux de la région. Détruit en 1589 avant d’être restauré fin XVIIème(8)).

Devant l’église trône un arbre impressionnant.

Dans un tel contexte, en plein coeur de la Haute-Savoie, on s’attendrait à découvrir un tilleul (ou au moins une espèce autochtone), mais chose surprenante c’est bien à un Thuya géant que nous avons affaire.

De fastidieuses recherches ne m’ont malheureusement pas permis d’apprendre grand-chose à son sujet, mais le peu que j’en sais permet toutefois d’expliquer cette curiosité:

Initialement ce tout petit parc situé au pied de l’église n’était autre que le cimetière, déplacé en 1912(16).
L’arbre aurait été planté sur la tombe d’une personne décédée en décembre 1909 (en plein hiver, par conséquent une plantation probablement ultérieure, à partir de 1910) et serait alors âgé de plus de 106 ans.
Le Thuya était déjà bien visible sur le cliché de 1936. 1909 est donc une date plausible car une vingtaine d’années sont bien suffisantes pour qu’un thuya non taillé développe un houppier volumineux, mais cela n’est pas un indice si concluant: la plantation aurait tout aussi bien pu être antérieure à 1909 et concerner un autre défunt.

La présence de cet arbre en ce lieu est en tout cas postérieure à l’introduction de l’espèce en Europe en 1853(6).
Il est peu probable qu’un petit village haut-savoyard ait eu dès cette date le privilège de voir planté dans son cimetière une espèce exotique tout juste importée, mais en tous les cas cela nous donne une limite maximale indépassable.

Donc un âge probablement supérieur à 107 et inférieur à 163 ans…

Le thuya a tendance à marcotter, c’est-à-dire que ses branches pendantes, en touchant le sol, se ré-enracinent, devenant avec le temps des pieds indépendants formant parfois une sorte de petite forêt. Le plus connu des thuyas à marcottes est celui de Vitré(10). Moins impressionnant, mais tout aussi intéressant, celui d’Amphion qui a l’avantage d’être haut-savoyard (voir cette image)…
Le Thuya de Peillonnex présente lui une forme bien différente, due, probablement, à un entretien régulier visant à pouvoir circuler autour de l’arbre (au-dessous de 2 mètres aucune branche ne vient troubler nos déambulations méditatives), la base est alors bien visible.
Et quelle base impressionnante!

Outre l’aspect esthétique de ce bel arbre, isolé face au prieuré, ce sont bien les dimensions colossales de son tronc qui marquent l’esprit:

7,98 m(11) de circonférence! Soit 2m50 de diamètre!

Ce tour de taille hors du commun en fait un des plus gros thuyas d’Europe, probablement le plus gros de France.(12)

Cependant, précisons une chose: il ne s’agit pas d’un tronc unique, en un bloc, mais d’un faisceau de troncs jaillissants d’une base énorme.

Son aspect évoque une sorte de cépée: l’arbre taillé dans sa jeunesse émettant de multiples tiges finissant par former un faisceau plus ou moins dense.  Toutefois, les axes relativement verticaux de ces troncs suggèrent une autre hypothèse:

Il pourrait s’agir de plusieurs arbres, initialement plantés autour d’une pierre tombale. En grossissant ceux-ci se seraient touchés, puis soudés, offrant aujourd’hui l’aspect d’un arbre unique. Hypothèse qui permettrait en outre d’expliquer un diamètre record en à peine plus d’un siècle.

Cela ne le rend pas moins intéressant, bien au contraire: que ce Thuya soit devenu le gardien d’une sépulture, protégeant son occupant de ses racines, alors même que le cimetière a été déplacé depuis bien longtemps, oublié de tous, est une chose assez belle je trouve.

La foudre lui est tombée dessus en août 2009(17). Lors de mon premier passage en 2014 je ne l’avais même pas remarqué (on distingue à peine le chemin qu’a emprunté l‘arc électrique le long du tronc, voir cette image) ; en revanche j’avais constaté ce qui semblait être une descente de cime(13). La foudre en serait-elle la cause?
À moins que l’arbre n’ai pas supporté l’aridité de certains étés passés ; l’espèce, native d’une zone à forte forte humidité supportant mal la sècheresse…

À noter que l’arbre a servi, durant de nombreux hivers, de dortoir à hiboux moyen-ducs. Ce qui, semble-t-il, n’est plus le cas aujourd’hui.(14)

Galerie

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GPS: N46° 07.973′ E6° 22.727′
Accès: Très facile. Possibilité de se garer à 200m du prieuré (à côté d’un gros marronnier).
Pour info Peillonnex est situé à 24 km de Genève, 48 km d’Annecy et à 166 km de Lyon.

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le fabuleux Fayard du Plan du Salève

Si dans la plupart de nos forêts le Hêtre se rencontre sous la forme de beaux arbres élancés au tronc bien droit (donnant aux hêtraies l’aspect de cathédrales végétales), voire parfois sous l’aspect de cépées aux denses rejets, il arrive que des individus plus âgés, isolés, où poussant dans des conditions difficiles, prennent des formes bien différentes: port étalé, tronc court et irrégulier, branches sinueuses, etc. Quelques-uns atteignent des dimensions hors du commun, ce qui, je trouve, n’est pas si fréquent (que dis-je, carrément rare), alors que l’espèce représente tout de même 17% des forêts du département(1).

Le massif du Salève(2), dominant le bassin Genevois, est devenu pour moi, depuis que je le parcours, le Paradis du fayard(3). Il y est en effet bien plus facile qu’ailleurs de rencontrer des hêtres sortant de l’ordinaire. Qu’ils soient plus gros, plus vieux, plus beaux, plus étranges que les autres, on trouve ici de tout. Malgré cette relative abondance il est des individus qui vous marquent davantage.

C’est le cas d’un arbre découvert au Plan du Salève, entre les communes de Vovray-en-Bornes et Présilly.

Ce vieux ligneux m’a subjugué par son étrange beauté: formes tortueuses, aspect usé, marqué par le temps, mais néanmoins empreint d’une certaine noblesse.
L’apparence rocheuse de l’écorce du hêtre (grise, lisse, couverte de lichens et de mousses) est ici confondante et confère à cet arbre défeuillé l’aspect d’une énigmatique sculpture minérale…

Un hêtre vraiment fabuleux…

Si ce n’était son emplacement au sommet(4) d’un massif haut-savoyard on le croirait volontiers sorti d’une légende Celtique.

Le vénérable fayard bien que totalement creux (jusqu’au coeur de certaines branches) semble encore vigoureux: son houppier est dense, pas de trace de champignons lignivores, et les bourrelets cicatriciels entourant la cavité centrale (évoquant par endroits  de la cire fondue) sont fort épais, ce qui dénote une certaine vitalité.

Question mensurations, il affiche une circonférence de 4,98 m(5).
(je n’ai pas mesuré la hauteur, mais il n’est pas très élevé)

Je consulte régulièrement les anciens cadastres dans l’espoir d’en apprendre davantage sur l’histoire d’un lieu. Je ne m’attends toutefois pas à y trouver des arbres, ceux-ci étant très rarement représentés. Pourtant, à ma grande surprise, j’ai découvert que ce hêtre servait à marquer la limite entre les communes de Vovray-en-Bornes et Présilly, et ce sur un plan cadastral de 1871 !(6)


Pour y figurer cet arbre devait être déjà imposant il y a 144 ans ; il est donc fort probable qu’il soit âgé de plus de 200 ans.

Le hêtre serait une essence peu longévive(7). Comparé à ses congénères notre fabuleux fayard fait donc figure d’ancêtre…

Pour parfaire le tableau, à quelques mètres de là, se trouve un ensemble de Hêtres d’aspect très graphique.


Assis sur une accueillante racine de ces vénérables ligneux il vous sera possible d’admirer le vaste panorama qui s’offre à vous, couvrant les Alpes du Nord jusqu’au mont-Blanc…

Galerie

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GPS: N46° 04.521′ E6° 07.342′
Accès: Facile. De Monnetier-Mornex, la Muraz, Archamps ou Cruseilles rejoindre la route qui parcourt le sommet du Salève dans sa longueur. Rejoindre le parking du Plan du Salève (au sud du massif). Prendre à pied, sur ~500 m, le chemin menant au chalet du plan. L’arbre se trouve en lisière à 200 m de Là. À noter que la route du sommet est fermée en hiver.
Si vous visitez cet arbre ne loupez surtout pas le superbe Saule Kraken près du parking. Non loin de là vous pourrez aussi contempler deux merveilles: le Tilleul des Convers et l’Érable de la Thuile

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