le Poirier de Ganguilly

De tous les ligneux les arbres fruitiers sont certainement ceux avec lesquels l’homme entretient les liens les plus étroits. Générations après générations, nos ancêtres ont patiemment trié, sélectionné, croisé, amélioré les souches sauvages pour obtenir la multitude de variétés qui font aujourd’hui la richesse de nos terroirs. Un patrimoine pluri-séculaire (voire millénaire) mis à mal par notre modernité friande de beaux fruits calibrés, bien lisses, aseptisés, qui ne sont riches, finalement, que des kilomètres qu’ils ont parcourus pour parvenir dans nos caddies ; au détriment de fruits peut-être moins beaux, moins symétriques, moins brillants, un peu tâchés, mais autrement plus savoureux, nutritifs, et surtout riches de leur histoire locale.

Les folklores locaux sauvegardent encore, par endroits, la mémoire d’antiques tonnelles de vigne, de vieux pommiers, de noueux amandiers, de gigantesques poiriers, etc. Ces arbres doublement choyés, pour leurs fruits et pour leur caractère remarquable, étaient autrefois de véritables attractions locales souvent citées dans les guides de voyageurs[6].

Malheureusement les vieux vergers disparaissent petit à petit[1] et je ne rencontre aujourd’hui que trop rarement des fruitiers remarquables.
Heureusement il en existe encore, mais si peu, et tellement discrets qu’ils n’éveillent généralement pas l’attention des locaux.
D’autant plus discrets qu’il s’agit de petits arbres peu impressionnants ; en tout cas pas de quoi rivaliser avec chênes, tilleuls, séquoias, platanes, cèdres, etc (dont la majesté naturelle rend remarquable, aux yeux des néophytes, même les plus modestes spécimens).

Notre département abrite toutefois un colosse, aux dimensions extraordinaires, capable de rivaliser avec des essences habituellement bien plus imposantes.
Il s’agit d’un Poirier, situé sur la commune de Fessy, au lieu-dit Ganguilly[9].
À ce jour le plus gros représentant de son espèce en Haute-Savoie.

Il n’est pas impossible qu’il existe de plus impressionnants poiriers savoyards, mais la probabilité reste très faible car dans l’absolu ses dimensions sont exceptionnelles pour l’espèce ; au point de conférer à cet individu une remarquabilité élevée au niveau national![3]

Cet arbre hors norme mesure 3,68 m de circonférence[2]!

Les poiriers plafonnent généralement à 15/16 m de haut, mais peuvent atteindre 20 m ; celui de Fessy est bien en deçà car il mesure 12,7 m[4].
Si sa circonférence est exceptionnelle sa hauteur n’a donc rien de remarquable pour l’espèce, mais est toutefois largement suffisante pour prêter à cet arbre isolé un port noble et imposant.

Il pourrait être âgé de 150 à 200 ans, ce qui est déjà assez élevé pour un poirier ; les arbres fruitiers n’étant pas les plus longévifs des ligneux (s’il n’est pas impossible qu’il dépasse les 200 ans, 250 me parait toutefois un maximum)[5].

Quelques observations: l’arbre est semble-t-il creux, au moins en partie. Présence de lierres envahissants[8], mais aussi de gui. Nombreux rameaux secs. Malgré un aspect vigoureux l’état de ce poirier me paraît s’être dégradé ces dernières années. À surveiller.

Ce poirier est situé en marge d’un verger à la limite des communes de Brenthonne et Fessy. En 1927, ce verger s’étendait davantage à l’est côté Fessy, jusqu’à la route des Crets Marteneaux. Des arbres ont été plantés depuis cette date, sans compenser toutefois la disparition de nombreux fruitiers[7]. La comparaison du cliché aérien de 1927 avec l’image satellite d’aujourd’hui permet de supposer qu’une poignée de fruitiers pourraient être centenaires. Aucun n’atteint toutefois les dimensions exceptionnelles de ce poirier…
À noter que notre arbre est accompagné d’un autre poirier qui bien que nettement plus modeste affiche une honorable circonférence de 2,16 m. Ces deux arbres sont les seuls survivants d’un ancien alignement[10].

J’espère, à l’avenir, pouvoir rencontrer le propriétaire de ce fantastique poirier afin d’en apprendre davantage (j’aimerais notamment en connaître la variété. Avis de pomologues bienvenus)…

Galerie

Localisation: cliquez ici
GPS: 46.275957 , 6.405011
Visible depuis la départementale 903 entre Lully et Brenthonne.
Accès: accès possible depuis l’allée l’Épine ; à noter toutefois que l’arbre, s’il est accessible, est situé sur un terrain privé.

notes:


1) Sous la dent des promoteurs ou par simple abandon ; spectacle encore plus triste de ces vénérables fruitiers couverts de guis, de lierre, parfois écroulés ; de véritables ruines végétales symbole de notre désintérêt (d’autant plus affligeant que nombre de ces vieux arbres sont encore très productifs. Triste spectacle, l’automne venu, que ces vergers au sol jonché de fruits non ramassés, alors même que les étals de supermarchés sont pleins de fruits importés de l’autre bout de l’Europe, voire de l’autre bout du monde).
2) au 8/11/18. Ancienne mesure 3,66 m au 19/2/14.
3) Si à l’échelle Européenne certains champions peuvent dépasser 5 m de circonférence, en réalité 4 m marque un palier franchit par de très rares élus (seuil que notre poirier pourrait atteindre d’ici une vingtaine d’années, s’il survit à l’urbanisation délirante du Chablais). En France je n’ai trouvé que 9 arbres plus gros que celui de Fessy (mes connaissances sont loin d’être exhaustives, toutefois s’il est très probable qu’il existe encore de très nombreux poiriers remarquables inconnus, au delà de 3,50 m de circonférence les candidats seront fort rares).
4) Au dendromètre Suunto le 8/11/18.
5) Pour info : Laurent Juratic, forestier retraité et géobiologiste amateur, estime en 2018 son âge à 173 ans.
6) Tradition en déclin accéléré, voire par endroits totalement disparue : qui aujourd’hui peut citer l’existence d’un fruitier remarquable ? Pas grand monde malheureusement.
7) Voir cette image.
8) Le lierre n’est pas un parasite (contrairement au gui) et dérange fort peu notre poirier car comme on le constate sur les photos prises en hiver le lierre occupe le coeur de l’arbre et n’entre donc pas en concurrence avec son hôte pour la photosynthèse (pour l’instant en tout cas. Développement à surveiller donc. Voir ce comparatif entre 2014 et 2018).
9) Bien qu’officiellement localisé  au lieu-dit « les Chêniets »*
ce poirier est situé en marge du verger de Ganguilly auquel il semble appartenir, j’ai donc préféré conserver ce second toponyme (*à noter que sur le cadastre de 1885 « Chêniet » est au singulier et se situe plus au sud ; le poirier étant plutôt localisé dans le secteur dit « l’épine »).
10) Alignement d’une vingtaine d’arbres sur 170 m. Voir photo aérienne de 1927 (Géoportail IGN)

2 thoughts on “le Poirier de Ganguilly

  1. Joli portait de ce poirier extraordinaire, l’un des plus exceptionnels des Alpes.
    On devine la torsade de son tronc du côté droit, mais finalement assez peu marqué, ce qui est étonnant pour un si vieux fruitier.

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