le Cèdre de la source Cachat


Évian-les-Bains est une petite ville située en bord de Léman.

Bien que modestement peuplée d’environ 8000 Évianais peu de gens ignorent le nom de cette commune chablaisienne, célèbre bien au delà du département (et même au delà des frontières du pays) pour son eau minérale.

Moins connu, mais en lien direct, est son passé thermal sur lequel s’est construit ce succès…

Sur la commune limitrophe de Publier, jaillit une source ferrugineuse. L’intérêt qu’a suscité cette eau, dès la fin du XVIIème siècle, a fait d’Amphion-les-Bains une station thermale très en vogue au siècle suivant. Mais non loin de là, la découverte d’une eau plus douce entrainera le lent déclin du thermalisme à Amphion.

Les bienfaits des eaux d’Évian auraient été découverts en 1789 par Jean Charles de Laizer, comte de Brion, qui était alors en cure à Amphion pour soigner des troubles urinaires chroniques, sans succès toutefois. L’eau de la fontaine Sainte-Catherine à Évian lui fut en revanche salutaire. Suite à cette soudaine rémission il envoya quelques bouteilles au docteur Tissot pour analyses. Les vertus médicales de cette eau remportèrent vite un franc succès.

Le propriétaire du terrain, Gabriel Cachat, se mit alors à vendre le précieux liquide. En 1824 apparaissent les premiers bains et la source Sainte-Catherine, non la seule d’Evian mais la plus célèbre, change de nom pour devenir source Cachat [3]. Deux ans plus tard, en 1826, source et terrain sont rachetés par le banquier genevois François Fauconnet, initiateur de la saga des eaux d’Évian…

la commune chablaisienne devient rapidement un haut-lieu du thermalisme fréquenté par toute la haute société de l’époque et plusieurs grands hôtels sont alors construits pour faire face à l’afflux des curistes (l’annexion de la Savoie à la France en 1860 et l’arrivée du chemin de fer à Évian en 1882 participeront à l’essor du thermalisme éviannais).

L’Hôtel des Bains, construit en 1839, agrandit dans les années 1850 pour devenir le Grand Hôtel des Bains, enfin modifié en 1898 et renommé Splendide Hôtel [1], se situait non loin de la source. Ses jardins étaient même contigus à celle-ci [2].

Aujourd’hui, outre les habitants, de nombreux touristes viennent se désaltérer à la source Cachat[3] (et s’y faire prendre en photo), sans vraiment accorder d’attention à l’arbre imposant qui domine littéralement ce lieu, quelques mètres à peine en amont de la fontaine, en lisière des anciens jardins:

Un cèdre superbe aux puissantes branches étalées.

Selon Françoise Breuillaud-Sottas, historienne spécialiste du thermalisme à Evian, ce cèdre pourrait être contemporain de l’agrandissement du bâtiment initial au cours des années 1850. Toutefois sa plantation pourrait être antérieure, « les jardins en terrasse ayant été aménagés , dans les années 1830-1840 ».

Hypothèse fort probable car sur une illustration représentant le premier édifice avant agrandissement, donc entre les années 1839 et 1853, on constate la présence d’un conifère ressemblant à un jeune cèdre. Sa position par rapport aux différents bâtiments cadre parfaitement avec la position qu’occupe le cèdre aujourd’hui, et sa taille apparente pourrait correspondre à celle d’un arbre planté entre 1830 et 1840 [4]

Nous pouvons donc en déduire un âge probable entre 185 et 200 ans.

L’association du cèdre à l’histoire du thermalisme évianais (l’arbre est visible sur de très nombreuses cartes postales anciennes) est déjà en soi singulière, mais ce passé prestigieux n’est pas évident au premier abord. Ce qui frappe avant tout, c’est la beauté de cet arbre, et ses dimensions remarquables.

D’un imposant fût de 5,86 m [5] de circonférence, soit presque 2 mètres de diamètre, émerge un bouquet de branches jaillissantes, celles situées en périphérie retombent et s’étalent avec grâce. L’ensemble confère à ce cèdre un port princier qui s’accorde parfaitement à l’histoire du lieu.


Sa situation isolée, l’absence de concurrence, ne l’ont pas forcé à croître en hauteur ; celle-ci n’est donc pas exceptionnelle (22,5 m pour être précis [6]).

Je ne suis pas parvenu à déterminer l’espèce. La forme générale me fait penser au cèdre du Liban – Cedrus Libani (cime large, port très étalé…), en revanche les feuilles correspondraient davantage au cèdre de l’Atlas – Cedrus atlantica (2,5 cm en moyenne, d’un vert plutôt bleuté). Mais pour être franc je suis loin d’être spécialiste des cèdres… L’âge de cet arbre pourrait être un indice précieux car s’il a bien été planté avant 1840 il y a de fortes probabilités qu’il s’agisse d’un cèdre du Liban, car le cèdre de l’Atlas, découvert vers 1826 [7], n’a été multiplié qu’à partir de 1839 [7], ce qui semble ici un peu juste (mais pas impossible non plus)…

Malgré quelques rameaux secs, les stigmates de nombreuses branches taillées ainsi qu’une petite section écorcée sur le tronc, son état sanitaire semble excellent, l’arbre dégageant une incroyable impression de vigueur. Il faut croire que les vertus des eaux minérales d’Évian auront été bénéfiques à ce vieux cèdre qui y plonge ses racines depuis plus d’un siècle et demi.

Ce cèdre vient tout juste [8] d’être labellisé « arbre remarquable de France » par l’association A.R.B.R.E.S [9] Distinction parfaitement méritée!

mise à jour décembre 2021 : casse importante dans le houppier, décision opaque et expéditive d’abattre l’arbre ; mais suite (vraisemblablement) à une mobilisation diffuse, rapide et spontanée (riverains, amoureux des arbres, associations, etc), d’autres experts ont été mandatés. La société Evian/Danone, propriétaire du Cèdre, assure désormais vouloir préserver l’arbre.

mise à jour février 2022 : l’arbre a été abattu! (voir cette photo du Messager)
Ce retournement de situation laisse pantois. Les conclusions de la dernière expertise fussent-elles alarmistes, a-t-on laissé la moindre chance à cet arbre exceptionnel?
Rapidité et opacité de l’opération soulèvent de nombreuses questions.

Galerie

Localisation: cliquez ici
GPS: 46.399712  /  6.591826
Accès: facile. Arbre situé en plein centre d’Evian.

Merci à Françoise Breuillaud-Sottas pour ses précisions historiques.

notes:

1) Ce bâtiment n’existe plus aujourd’hui et le périmètre de l’ancien parc est désormais coupé en son centre par le boulevard Jean Jaurès.
2) De cette haute société de l’époque peu de noms nous sont connus, car Il s’agissait avant tout de « têtes couronnées », « d’aristocrates », « de rentiers », « d’industriels » (Marie-Reine Jazé-Charvolin « Les stations thermales : de l’abandon à la renaissance. Une brève histoire du thermalisme en France depuis l’Antiquité »). Mais il y avait aussi des artistes, le plus connu étant certainement Marcel Proust, qui a séjourné plusieurs fois au Splendide Hôtel (1899 – 1905). On imagine parfaitement l’écrivain déambulant dans le parc de L’hôtel et s’asseyant, pourquoi pas, à l’ombre de notre vénérable cèdre, songeant aux premières lignes de « la Recherche du temps perdu ».
3) la fontaine actuelle date de 1903.
4) Davet de Beaurepaire vante, en 1852, la beauté des jardins de l’hôtel des Bains, parle de charmilles, de bosquets d’arbres, d’un rosier « phénoménal » mais ne parle pas du cèdre : dans l’hypothèse où il aurait été planté en même temps que l’aménagement des jardins en terrasses il n’avait alors pas plus de 20 à 30 ans .
5) Mesure au 8/10/16. Anciennes mesures: 5,83 m au 1/8/15 , 5,78 m au 1/9/13. Accroissement entre 2,5 et 3 cm par an.
6) Au dendromètre Suunto le 8/10/16.
7) Découvert par Philip Barker Webb, multiplié à partir de 1839 par le pépiniériste français Sénéclauze (source: Jacques Brosse).
8) Heureux hasard (et synchronisation idéale!), mon article étant en chantier depuis presque 1 an (et mes recherches bien antérieures).
Info vue sur le Messager du 3 novembre 2016.
9) Association A.R.B.R.E.S : « Arbres remarquables : bilan, recherche, études et sauvegarde ». Voir leur site.

5 thoughts on “le Cèdre de la source Cachat

  1. Bonjour
    Pour l’asterisque (3) vous dite que la fontaine actuelle date de 1903. A ma connaissance il en existe une autre qui se trouve derrière le mur que j’ai vu sur des cartes postales anciennes. De quand date elle.

    merci pour votre réponse

    • Bonjour.
      Je n’ai pas cette information, désolé.
      Si vous en apprenez davantage n’hésitez pas à me le faire savoir.

      • Alors attention, la fontaine que l’on voit actuellement est effectivement récente, le fronton a été rénové en 2015 pour faire place à une mosaïque de Yves Decompoix. La vasque de la fontaine en marbre rose de la carrière de Nuits Saint Georges en Bourgogne est d’époque, la margelle ou table de dépose est issue de la même carrière mais elle a été remplacée plusieurs fois en raison des vandalisme… Effectivement auparavant la fontaine était placée dans le grand local situé derrière le mur qui supporte l’actuelle fontaine. Elle a été déplacée en 1959 pour des raisons de sécurité liée à la source et afin de permettre une désinfection périodique de l’alimentation de la fontaine car malheureusement on constate trop souvent de très mauvais comportement de certaines personnes…

  2. Bonjour,
    Bravo pour votre site et description de l’arbre, en revanche attention aux termes « rapidité et opacité » que vous indiquez dans votre commentaire de février. Non il n’y a pas eu opacité, la société a communiqué largement par affichage ou voie de presse et bien sûr vers la ville sur les études en cours. A notre immense désespoir que nous avons reçu comme une catastrophe tant cet arbre est emblématique pour notre société, les 3 experts forestiers indépendants nommés, 2 français et un suisse ne laissaient pas entrouvrir la moindre chance à cet arbre. Les 3 experts sont arrivés aux mêmes conclusions. Des pistes par haubanage ou étayage que nous avions imaginés ont été étudiées par les experts mais de part la taille et le poids des branches à haubaner, on parle ici de plusieurs branches à maintenir de 4 à 8 tonnes chacune et surtout leur embranchement placé très bas sur le tronc, cela aurait nécessité de réaliser d’énormes massifs de béton avec de très gros câbles de maintien. Alors oui, si cet arbre avait été planté dans un milieu isolé au coeur d’un grand parc plat, peut-être qu’il eu été possible d’étudier de réaliser des renforts très spécifiques mais de part l’emplacement très particulier que nous constatons de ce cèdre, coincé entre un talus haut et raide au sud et une zone très en contrebas de la naissance de la souche (5m) au nord, très fréquentée avec une rue très passante, la présence d’une école et de très nombreux visiteurs à toute heure de la journée, les experts ont écarté d’emblée cette piste.
    Tant la société que la ville meurtris par cette évènement ont tout fait pour trouver des solutions pour sauver cet arbre emblématique, mais le sous préfet a demandé d’appliquer les recommandations que les experts ont écrit noir sur blanc dans leur rapport, à savoir d’abattre l’arbre. Les risques étaient trop grands de voir une autre branche de plusieurs tonnes venir s’écraser soit sur les usagers de la source, ou dans l’avenue ou pire sur l’école. Les mêmes qui crient au crime contre l’arbre auraient attaqués durement la maire en premier lieu et la société pour manque d’action voir homicide(s) involontaire(s) car c’est bien de cette manière que les choses pouvaient se terminer.

    • Merci pour votre message.

      Je comprends parfaitement votre point de vue, mais voici le mien :
      ayant déjà eu affaire à un certain nombre de dossiers d’abattage d’arbres je constate que là où habituellement les processus décisionnels prennent de longs mois, voire parfois des années (y compris dans des dossiers où le risque pour les biens et personnes est avéré) ici tout a été très rapide. Rapidité qui ne permettait aucune mobilisation, mettant les défenseurs de l’arbre devant le fait accompli.
      Quant à l’opacité, si je n’ai pas eu directement affaire à la société des Eaux d’Évian, à la mairie ou à l’entreprise Danone j’étais en contact avec plusieurs personnes mobilisées. Toutes m’ont confié les difficultés rencontrées pour obtenir des informations, ou pour avoir accès aux expertises (et vous en conviendrez quelques citations extraites ici ou là, par voie de presse ou en privé, ne remplacent pas une expertise complète). Par ailleurs, je me suis rendu sur place le jour de l’élagage. J’ai demandé à discuter avec un responsable ou avec l’expert Suisse présent ce jour là. Évidemment je n’étais pas en position d’exiger quoi que ce soit, mais je ne m’attendais pas à la froideur de la réception. On m’a simplement répondu « sans commentaire ». Donc je maintiens le terme d’opacité (sans aucun sous entendu, simple constat personnel qui me semble objectif).

      Je comprends évidemment vos positions. Que les moyens à mettre en œuvre pour préserver l’arbre aient représenté un coût trop élevé, ou que le blocage de la rue sur une longue période (le temps nécessaire pour mettre en place une solution pérenne de sauvegarde et de mise en sécurité) ait pu poser de délicates questions de politique locale vue l’importance du site, je peux parfaitement le comprendre ; par contre cela ne permet pas de conclure à une absence d’alternative à l’abattage ; la fatalité est bien trop opportunément évoquée dans ce genre de dossier où il est bien rare que l’arbre sorte vainqueur, fût-il exceptionnel comme ce Cèdre…

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