les têtards de Novel

Situé à l’extrémité nord-est du département, aux portes du Valais suisse, Novel est un petit village montagnard niché au coeur du vallon encaissé de la Morge[2], relié au bord du lac Léman qu’il domine de 600 m par une unique route restée longtemps peu praticable. Du fait de cette topologie particulière les habitants de cette commune, la moins peuplée de Haute-Savoie[3], durent probablement vivre, jusqu’à relativement récemment[11], en quasi autarcie.

Ces conditions particulières sont à l’origine d’une autre singularité[1] , celle qui nous intéresse ici: une étonnante concentration d’arbres remarquables unis par une histoire commune:

les têtards

Têtards, trognes, ragosses (…) sont des arbres à l’apparence bien étrange: un tronc trapu surmonté d’une (ou plusieurs) touffe(s) de fins rejets hirsutes et denses[5].
Cet aspect caractéristique est du à la coupe cyclique des branches dans le but de fournir du bois pour de nombreux usages: chauffage, fagots pour le fourneau, vannerie, manches d’outils, piquets, etc ; les feuilles, quant à elles, sont souvent utilisées comme fourrage. Préserver l’arbre permet une repousse rapide des rejets, augmentant ainsi la fréquence des récoltes, ce qui n’est pas le cas avec un abattage pur et simple (la récolte d’arbres de futaie en sylviculture classique se compte en décennies, voire en siècles ; alors que le cycle de taille des têtards se compte en années).
Les trognes sont relativement communes, et même abondantes dans certaines régions de France, mais il s’agit la plupart du temps d’arbres isolés, d’alignements ou de petits groupes, rarement de peuplements. En forêt, dans une même logique de récoltes fréquentes et régulières, il est bien plus commun de rencontrer des « taillis » : boisements souvent impénétrables formés de ligneux cycliquement coupés au niveau du sol ; les souches couvertes de rejets sont appelées « cépées » (voir ce schéma). Mais les jeunes, tendres et appétissantes pousses ne sont pas à l’abri de la dent de l’herbivore, sauvage ou domestique, d’où l’intérêt d’une taille en hauteur (d’un taillis perché en somme).

Il existe un fort a-priori négatif concernant la culture des trognes, pourtant ces coupes cycliques ne nuisent pas forcément à l’arbre et semblent même accroître sa longévité en transformant l’arbre-individu en arbre-colonie[4], pour peu toutefois que cette taille soit bien réalisée, précoce et non interrompue. Malheureusement ces pratiques rurales sont peu à peu abandonnées, mettant en danger les vieux têtards qui sous le poids des grosses branches non récoltées finissent par casser[13], s’écrouler, et dépérir.

Si leur avenir est incertain, les vieux têtards abandonnés ne manquent pas de pittoresque: formes fantasmagoriques ; troncs massifs, creux, souvent ouverts ou divisés en plusieurs morceaux, coiffés de grosses branches biscornues.
Outre leurs dimensions, leur étrange beauté et leur valeur patrimoniale ces arbres présentent l’intérêt d’être de véritables oasis de biodiversité: mousses, lichens, fougères et autres plantes épiphytes ; batraciens, insectes, rongeurs, oiseaux, reptiles, etc. Un foisonnement de vie rendu possible par la multiplicité d’abris et de micro-biotopes que constitue l’imposante et anfractueuse masse ligneuse d’un têtard: tronc creux, branches sèches, évidées, boursouflures, cavités, bosses, rugosités, fissures, dépressions pleines d’humus, petites poches d’eau, etc…

La présence d’un nombre élevé de têtards sur la commune reflète le mode de vie et les pratiques passées de ses habitants. Il s’agissait pour les Novellands de rentabiliser au mieux les faibles ressources disponibles (surfaces de culture limitées, fortes pentes, isolement du village…). La conduite en têtard des hêtres permettait donc sur un même espace d’obtenir du bois et de faire pâturer le bétail. La commune était, à ce titre, un modèle de « sylvopastoralisme ».

La richesse en têtards est ici exceptionnelle. Novel pourrait en effet abriter entre 1000 et 5000 trognes au total![23]
343 spécimens inventoriés à ce jour (les plus remarquables).
cliquez [ici] pour accéder à une carte interactive.

Ces têtards pourraient être divisés en deux catégories:

A) Peuplements forestiers de hêtres.
B) Arbres disséminés en forêt, isolés ou en petits groupes près des habitations et le long des chemins. Principalement des érables sycomores.

(A)
Peuplements forestiers
Hêtres (Fagus sylvatica)

Ces peuplements sont situés au dessus de la commune, dans des secteurs à forte pente[12] (au point d’être par endroits difficilement praticables).

L’impression générale est assez… magique.

Décor fabuleux, magnétique, fantasmagorique, semblant tout droit sorti d’un conte fantastique ; je serais à peine étonné d’apercevoir en ces lieux, par un demi-jour brumeux, quelques lueurs fantomatiques, d’entendre d’étranges mélodies éthérées, ou de découvrir, surgissant d’une vieille trogne, un être sylvain surnaturel.

Ce vieux peuplement est très probablement unique en Haute-Savoie[20].
Hypothèse d’autant plus vraisemblable que dans l’absolu les forêts de têtards sont aujourd’hui devenues fort rares[27]. En dehors des célèbres peuplements pyrénéens[21] il existe encore en France quelques populations disséminées de trognes[22], mais leur étendue est assez limitée : de l’ordre de « plus ou moins 1 ha » me confie Dominique Mansion, spécialiste reconnu des arbres têtards, qui ajoute qu’il faudrait alors davantage parler de « boisements ou petits bois ».
À Novel on peut légitimement parler de « forêt » car à ce jour la superficie déjà explorée[7] des peuplements purs (ou à forte dominance) de hêtres têtards s’élève à environ 22 hectares (soit ~ 75% à 80% de la surface potentielle estimée).

Un site exceptionnel donc!

Les forêts de la commune sont bien plus vastes encore[26], mais au delà des secteurs situés au dessus du village les essences se diversifient et les trognes sont moins nombreuses.
Peut-on toujours parler de « forêts de têtards » ?
Il serait plus prudent d’évoquer des « forêts à/avec têtards » (nuance importante, il me semble, pour préciser le degré de remarquabilité/rareté du site).

Plusieurs secteurs demandent encore à être explorés ; s’il est peu probable qu’ils soient aussi riches en trognes il reste vraisemblablement de très nombreux spécimens remarquables à découvrir…

Côté dimensions: les hêtres de plus d’un mètre de diamètre sont assez répandus ; statistiquement bien plus rares au delà de 4 mètres de circonférence ; ils ne sont, à ce jour, qu’une poignée à dépasser les 5m.
Voir graphique ci-dessous des circonférences relevées (mise à jour : novembre 2022).

Ces têtards pourraient être âgés en moyenne de 150 à 200 ans ; les plus vieux spécimens dépassant manifestement cette limite, peut-être jusqu’à 300 ans.
Il n’est pas fondamentalement impossible que quelques fayards soient encore plus âgés (350 ans? 400 ans? Davantage?)[17] mais il faut rester prudent car on entre alors dans une zone floue de spéculation qu’à ce jour bien peu de données solides permettent d’étayer.

Ces arbres sont, en majorité, dans un état sanitaire très moyen, et faute d’entretien sont voués à s’écrouler sous le poids des vieux rejets…

Je me suis permis de baptiser les plus intéressants : la Météorite, le Diapason, l’Orgue, l’Hydre, le Pommeau, la Gorgone, le Pilier, le Gnome, Lancelot, la Sentinelle, Harionago, Jejyll, la Corolle, la Limace, la Bogue, la Barrique, Clotho, Beorn, la Pieuvre, Orthos, la Licorne, Saï, le Chamois, Arachne, Janus, l’Oursin, Mafflu, etc (à voir dans la galerie).
Il est bien évidemment impossible de dresser le portrait de tous les fayards remarquables qui peuplent la commune (d’autant plus que l’inventaire actuel est encore lacunaire).
Je me contenterai ici de vous présenter succinctement les plus admirables :

~ Cthulhu ~

Je croyais bien cerner le potentiel de la commune, régulièrement visitée depuis 2014, pourtant je ne m’attendais vraiment pas à tomber sur un fayard aussi énorme. Le décamètre affiche en effet 6,50 m[14] de circonférence vers la base, au plus étroit! Puis après ramification[19]: 4,90 – 3,02 – 2,93 m. Des dimensions exceptionnelles qui le catapultent à la première place du classement au niveau départemental[15] (et de loin).
Forte remarquabilité bien au delà des limites du département car dans l’absolu (à l’échelle Européenne) peu de hêtres dépassent cette mesure[16].
L’arbre est très dégradé, et peu de rejets sont encore feuillés (plutôt en fin de vie donc). Difficile de déterminer son âge, probablement autour des 300 ans.

On remarquera un gros épicéa épiphyte[18] assez haut perché et une belle anastomose horizontale (c’est à dire la soudure de deux partie d’un même arbre. Voir ici). Il n’est pas impossible que cette anastomose contribue de façon fortuite à la solidité de l’ensemble en retenant la partie la plus dégradée qui aurait probablement déjà cédé sous son propre poids sans cette sorte de haubanage naturel

J’avais prévu de nommer « Hêtre président » ou « empereur » le plus gros fayard rencontré, mais face à un individu aussi hors-norme j’ai plutôt opté pour « Cthulhu », en référence à une créature titanesque issue de l’imaginaire de l’écrivain HP.Lovecraft.

~ Magma ~

Avec 5,82 m de circonférence[24] Magma est lui aussi un Hêtre exceptionnel. Deuxième plus gros fayard de la commune (et du département). Dimensions rares et âge vraisemblablement élevé, avoisinant probablement les 300 ans (estimation prudente, mais il n’est pas impossible qu’il soit plus ancien).
Un arbre qui impressionne par son caractère monumental mais aussi pour son apparence, particulièrement saisissante : tronc sombre, gerçuré, cloqué, creusé, complexement cannelé, évoquant de façon frappante de la lave solidifiée (d’où le nom que je lui ai attribué)…

~ la Chimère ~

Fayard imposant aux formes étranges. 4,26 m[14] de circonférence au plus étroit. Cela paraît peu comparé aux dimensions de Cthulhu, mais il faut noter que cet arbre a perdu une partie de sa structure et devait être autrefois bien plus gros, dépassant très probablement les 5 m de tour, ce que la vue depuis l’amont laisse imaginer (sous cet angle l’arbre paraît avoir 2 m de diamètre).
Dimensions et aspect général suffiraient à le rendre remarquable, mais ce fayard a d’autres cordes à son arc.
Le coeur du tronc en décomposition, riche terreau naturel, a par le passé permis l’enracinement de plusieurs ligneux épiphytes[18] : deux épicéas et un sorbier des oiseaux. L’un des épicéas est très imposant (bien visible sur la photo générale. Tronc rougeâtre et rectiligne au centre). Cette impressionnante curiosité n’est pourtant pas la plus intéressante: comme je l’ai évoqué précédemment ce hêtre a perdu une partie de sa structure, accident ayant exposé le coeur de l’arbre et mis en lumière un fantastique entrelacs de racines, semblables à des entrailles. Les subtiles variations de couleurs et de textures permettent de savoir à qui appartiennent les différentes racines (gris = hêtre / rouge = épicéas / beige = Sorbier. Voir ici).

L’aspect d’intestins lignifiés est frappant, toutefois j’ai préféré trouver quelque chose de plus ragoûtant que « l’éventré » pour nommer cet arbre. la « Chimère » me paraissait plus poétique…

~ Cernunnos ~

Cernunnos est un arbre vraiment superbe et très impressionnant, d’autant plus qu’il est relativement isolé dans un secteur où les têtards se font plus rares. Fût massif, tête assez haute (inhabituel) et très large coiffée de nombreux rejets de tailles et formes variées, certains très étalés. L’ensemble évoque les bois d’un cerf monumental (d’où le nom que je lui ai attribué, Cernunnos étant un dieu Celte cornu).
Circonférence de 4,30 m au +étroit[29].

~ l’ancêtre ~

Moins impressionnant que les précédents car plus tassé, cet individu (je parle de l’arbre bien évidemment) se classe tout de même parmi les fayards d’exception avec 5,47 m[14] de circonférence au plus étroit.
Il se pourrait qu’il ait été bien plus gros car l’aspect du tronc et la dissymétrie de l’ensemble laisse imaginer une masse bien plus imposante. Ainsi, avant effondrement d’une partie de sa structure, il n’est pas impossible que cet arbre ait un jour dépassé les 6 m de circonférence (voir cette simulation).

Malgré quelques rejets relativement vigoureux l’aspect sanitaire n’est pas engageant: seule la tête amont, peu imposante, est encore vitalisée ; les 3/4 de sa masse étant sèche.
Son apparence pittoresque de ruine végétale laisse supposer un âge élevé ; probablement un des plus vieux hêtres de la commune (peut-être plus de 300 ans).

~ le Prince ~

S’il est loin de rivaliser avec les précédents spécimens, autant en âge que du point de vue dendrométrique (circonf 3,96 m[24]), le « Prince » est pour moi un des plus beaux Fayards des forêts de Novel.
Pas d’autres vieux ligneux à proximité immédiate, si bien qu’il a pu développer un houppier majestueux, impressionnant pour un vieux têtard, autant en largeur qu’en hauteur. Un arbre vraiment grandiose!

~ Sigurd et Fafnir ~

Duo de hêtres situés à quelques mètres l’un de l’autre. Le premier est vigoureux,  massif, droit, avec deux têtes imposantes coiffées de nombreux rejets. Il mesure 4,55 m[14] au plus étroit. Lui aussi a perdu une partie de sa masse, possible qu’il ait dépassé 5 m de tour avant amputation. Le coeur exposé laisse apparaitre un amas de racines internes assez fines qui, le concernant, évoquent davantage une moustache que des entrailles (voir ici).

Le second est un peu moins gros avec une circonférence de 3,78 m[14]. Il se distingue surtout par sa forme: port penché vers l’aval, en porte-à-faux, presque couché. Beau fût couvert de mousses. Grosse casse récente. Moins fringant que le précédent.

~ les Siamois ~

Têtard trapu, creux, aux formes inhabituelles ; sorte d’amalgame ligneux ajouré dont j’aurais bien du mal à préciser la nature: arbre unique? Plusieurs arbres en partie fusionnés? Quoi qu’il en soit l’ensemble est visuellement frappant, vraiment très pittoresque.

À noter qu’un Sorbier a poussé au coeur de l’arbre. Une partie du tronc ayant disparu les racines du Sorbier se retrouvent à l’air libre, offrant l’aspect d’une méduse ligneuse perchée sur le têtard (voir ici)…

~ la Massue ~

4,42 m[9] de circonférence. Tête et tronc massifs, imposants, rejets élancés et puissants. En bord de chemin, donc très facile d’accès contrairement aux autres têtards.
Présente de jolies anastomoses.

~ le Dragon ~

Arbre superbe, puissant, vigoureux, à la silhouette étrange: Si certains hêtres évoquent le minéral, les formes rondes et sinueuses de cet individu semblent plutôt reptiliennes. Un des plus beaux fayards de Novel!
Circonférence: 3,91 m[14] au plus étroit.

~ la Caverne ~

Si les forêts situées au dessus du village (le Deley, le revers, de Lachau) sont les plus remarquables, car quasi uniquement constituées de vieux Hêtres têtards, les autres secteurs forestiers possèdent eux aussi leurs Trognes, mais celles-ci sont moins nombreuses, disséminées. Paradoxalement leur relative raréfaction peut jouer en leur faveur en maximisant l’impact visuel/émotionnel d’une rencontre.
C’est le cas pour ce Têtard qui semble perdu au milieu d’une forêt d’apparence normale ; spectacle d’autant plus saisissant que ses dimensions sont importantes: 4,50 m au +étroit[24].

Ce fayard est creux comme la plupart des vieux arbres, toutefois ce spécimen présente une véritable cavité, sorte de petite grotte ligneuse dans laquelle un homme peut tenir (je n’ai pas pu résister, vous imaginez bien).

~ le Fossile ~

Un hêtre sec mais toujours impressionnant: énorme masse ligneuse spiralée, noirâtre, craquelée, comme fossilisée. Circonférence de ~5,14 m[9].

Etc…

Il n’est pas impossible que ce prestigieux casting évolue, au gré de mes futures découvertes…

Galerie

(B)
Arbres rares et disséminés en forêt, isolés ou en petits groupes près des habitations et le long des chemins
Érables sycomores (Acer pseudoplatanus) principalement

Si les peuplements de hêtres sont liés à des pratiques sylvopastorales, les têtards isolés, alignés ou en petits groupes, appartiennent probablement à une autre catégorie. L’usage en était peut-être différent. Concernant les spécimens proches du village, leur implantation suggère une possible volonté de délimiter certaines parcelles, toutefois le choix de l’essence questionne: le bois de l’érable aurait-il davantage servi à l’ébénisterie?

Les trognes d’érable sont bien moins nombreuses que les hêtres (environ 15% des arbres inventoriés).

Certains ont des dimensions tout à fait remarquables et semblent fort âgés…

~ le Kraken ~

Le « Kraken » est peut-être l’arbre le plus remarquable de Novel. Un érable exceptionnel, autant pour ses dimensions que pour sa beauté.
Ce monumental têtard mesure 6,28 m de circonférence à la base au plus étroit[24]. Très impressionnant ce chiffre est pourtant loin de donner la mesure du caractère extraordinaire de cet érable, car si la circonférence n’est pas la plus importante pour la Haute-Savoie (7,60 m à la base pour l’érable de La Thuile au Salève[29]), son port très évasé lui confère, et de très loin, la première place en terme de masse ligneuse. On pourrait presque parler d’un gigantesque bouquet de têtards, chaque tête étant aussi volumineuse que la plupart des érables rencontrés sur la commune.
Il présente une vigueur étonnante pour un aussi vieux spécimen. Pas simple de donner un âge à un arbre aussi singulier, mais il me paraît difficile de croire que cet arbre puisse avoir moins de 300 ans.
Un colosse vraiment spectaculaire! Un des arbres les plus remarquables du département, toutes espèces confondues (et qui pourrait légitimement figurer en bonne place dans un ouvrage sur les arbres remarquables de France). J’ai beau avoir l’habitude de rencontrer des ligneux hors-norme, ce spécimen m’a laissé sans voix.

Un grand merci à Pierre Jean Grégoire qui m’a signalé cet érable extraordinaire qui avait jusque-là échappé à mes investigations[28].

~ la Main ~

Les autres érables têtards de la commune sont très loin de rivaliser avec le Kraken, mais ce dernier étant exceptionnel la comparaison n’est pas forcément pertinente. Il ne serait pas très fair-play de snober ces quelques trognes qui dans l’absolu sont tout à fait remarquables.

Le plus intéressant, par son aspect et ses dimensions, est un très bel arbre présentant un beau fût massif de 4,13 m de tour[9]. Son état semble meilleur que la plupart des érables du secteur. Sa forme évoque une énorme main ligneuse aux doigts noueux.
Il n’est pas directement situé en bord de chemin mais à quelques mètres en amont, il vous faudra donc ouvrir l’oeil pour le découvrir :

~ l’Épave ~

Ce spécimen situé en bord de route est en mauvais état. Il présente une circonférence de 6,60 m à la base[8]. Souche massive très vite ramifié en deux gros troncs  (3,75 m de tour max)[8]. Peut-être s’agit-il d’une vieille cépée?
Il faut se placer en aval pour bien se rendre compte de la masse de sa base, car vu de la route il n’est pas si impressionnant :

~ les Sauvageons ~

Un duo en bord de route, sous le village, mérite aussi le détour. Concernant ces deux arbres on peut vraiment parler de ruines végétales, tant ils sont abimés, biscornus, couverts de mousses et de plantes épiphytes. Les dimensions sont, elles aussi, remarquables: 4,10 m[8] et 3,94 m[9] :

~ Liéchi ~

En forêt les érables sont plutôt rares, disséminés, et généralement de dimensions plus modestes. Quelques exceptions toutefois comme ce beau spécimen, visiblement assez âgé (circonf 3,90 m)…

Voir graphique ci-dessous des circonférences relevées sur la commune (maj juin 2022).

Galerie

On trouve aussi quelques individus d’autres espèces, notamment un gros Frêne de 3,68 m de tour[10], ou encore un inattendu Orme têtard en forêt (circ 3,11 m).

À Novel les têtards étaient « coupés tous les 4-5 ans dans une proportion de 3 sur 4 » selon Mireil Brouze.

Sur la mappe Sarde de 1732 sont représentés de nombreux arbres stylisés, simples indications de la nature des parcelles ; toutefois certaines d’entre elles sont couvertes de formes étranges, courtes et globuleuses.
Pourrait-il s’agir de têtards ?

Hypothèse fragile mais très séduisante car suggérant une pratique de l’étêtage déjà courante il y a presque 300 ans, et suffisamment singulière pour figurer sur la mappe!

On m’a confié que ces symboles correspondraient aux vergers, toutefois je constate qu’ils sont présents sur de grandes surfaces (~124 hectares. Voir ici), parfois en versant nord, assez éloignés du village et à des altitudes plutôt élevés (jusqu’à 1700 m). Il n’y a cependant pas vraiment de correspondance entre les forêts de têtards actuelles et les parcelles couvertes de ces pictogrammes sur la mappe (voir ici).
Mystère…

Le 19 octobre 1924 Novel fut ravagé par un incendie. La quasi totalité du village fut réduite en cendres, une quarantaine de chalets en tout. Seule une poignée de bâtiments (église, presbytère…) échappèrent au flammes. Les têtards sont donc, avec ces quelques édifices, les derniers témoins de l’ancien Novel ; témoins vivants, qui plus est!…

La commune ayant pour projet de protéger et valoriser son patrimoine arboré remarquable cet article est amené à évoluer en fonction de l’actualité…

Un grand merci à René Adam pour son aide précieuse et son entrain communicatif.

Localisation: cliquez ici
Accès: route unique depuis Saint-Gingolph, sinueuse et étroite, mais bien entretenue. Parking au village où à La Planche. À 25 km d’Evian, 35 km de Thonon, 67 km de Genève…
Pour retrouver les trognes évoquées, rendez-vous sur la carte interactive. Cet article ne traite que des têtards, mais la commune possède bien d’autres arbres d’intérêt. N’hésitez pas à en inclure quelques-uns à votre sortie, comme le fantastique Orme en orgue, ou le Trident de Trepertuis. À ne pas manquer sur la route de Novel, le colossal Orme têtard de Jarcotin (mort depuis peu malheureusement, mais toujours visible)[6]

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la Châtaigneraie de la Chavanne

 La châtaigneraie de la Chavanne(1), au nord-est de la commune d’Allinges, est un bel ensemble de 17 châtaigniers d’âges et d’aspects fort différents. Ces arbres, bien qu’imposants, n’atteignent pas des records pour l’espèce(2) ; les forts diamètres étant relativement fréquents. Toutefois, pour deux d’entre eux, largement amputés de leur masse initiale, le critère de circonférence n’est pas forcément pertinent, mais j’y reviendrai.

De tout le Chablais cette petite châtaigneraie est certainement l’ensemble arboré le plus chargé d’histoire/légendes.
Bien que certainement fort âgés les châtaigniers actuels sont bien moins vieux que la châtaigneraie elle-même qui aurait vu se succéder plusieurs générations de vénérables ligneux. Selon Van Gennep (ethnologue et folkloriste 1873-1957) ce lieu serait sacré depuis le moyen-âge, voire le haut moyen-âge (476 à 1000 après jc).

La châtaigneraie serait alors, selon lui, plus que millénaire!

La Chavanne est surtout connue pour deux légendes liées à deux célébrités locales:

En 1391, Amédée VII, dit le « comte rouge » (héritier d’une dynastie qui régnait sur la région depuis déjà presque 400 ans) aurait été mortellement blessé en ce lieu par un monstrueux sanglier, incarnation du mal, qui répandait la terreur dans la contrée.
Une autre version affirme qu’il s’y serait effondré, mais aurait été blessé ailleurs dans la forêt. Certains auteurs n’évoquent même pas l’endroit. Cette légende possède, au final, presque autant de variantes qu’il y a d’auteurs pour la conter. Je n’en ai, de plus, pas trouvé de référence avant le XIX siècle : la forêt est la même, Amédée se blesse en chassant, mais pas de mention du sanglier maléfique ni du Châtaignier. Peut-être cette légende n’a-t-elle été répandue que pour cacher un assassinat par empoisonnement, où pour enjoliver un accident de chasse par trop banal? Quoi qu’il en soit l’anecdote n’en est pas moins intéressante :

« le coursier d’Amédée, que repoussait la terreur, allait, lancé comme la foudre, se heurter contre la racine d’un arbre, jetant à la renverse son cavalier, qui, malgré la blessure qu’il s’était faite à la jambe, s’élança d’un bond à cheval. Alors ce fut une course ardente, furieuse, folle à travers les halliers, les ronces, les rochers. La nuit était venue,c’était une nuit sans étoiles; les forêts, déversant leur ombre sur la plaine, augmentaient encore l’obscurité; l’orage grondait et l’on entendait se mêler au bruit sourd du tonnerre le son du cor rappelant les chasseurs. Le cheval allait toujours, le vent faisait gémir les grands arbres, et l’oiseau des nuits jetait, à travers ces bruits lugubres, sa plainte, au funèbre présage. Le coursier emportait avec la rapidité de l’éclair le vaillant comte Rouge ; les bois, les vallons, les plaines disparaissaient derrière eux; le vertige avait saisi l’homme et sa monture.
Ils s’arrêtèrent enfin au pied d’un arbre immense. Cet arbre était le châtaignier de la Chavanne. » (Raoul Bravard – 1862)

Environ 200 ans plus tard un autre personnage célèbre marque de son empreinte l’histoire du lieu. François de Sales (devenu Saint François de Sales après sa canonisation) célèbre théologien, prêtre puis évêque de Genève, est surtout connu pour son évangélisation du Chablais qui était alors calviniste.
En décembre 1594 François de Sales se serait réfugié en ce lieu, grimpant dans un colossal châtaignier pour échapper aux loups :

« Entre tous ces arbres, représentants d’un âge reculé, il en est un qui mérite et obtient de la piété des fidèles une sorte de culte, c’est le châtaignier colossal (…) Surpris, dans une de ses courses apostoliques, par les ténèbres et les bêtes fauves, saint François de Sales a passé la nuit glaciale du 12 décembre 1594, couché sur l’une des branches du colosse». L’auteur de ces lignes écrites en 1895, Eugène Gossin, précise même « On pourrait se demander comment le saint a pu s’élever jusqu’à la branche qui lui a servi de lit, suspendu au-dessus des loups, pendant la terrible nuit du 12 décembre. Un seul coup d’oeil jeté sur le géant de la Chavanne donne la réponse. Pour faire son ascension, le saint a trouvé, dans l’inclinaison d’une partie de l’arbre et dans des nodosités dont il est couvert, des facilités presque semblables à celles qu’une échelle lui aurait offerte. ».

Ce fameux châtaignier commun aux deux légendes mesurait, à croire ce qui a été écrit à son sujet, 15 m de circonférence à la fin du XIXè. Colossal n’est donc pas un vain mot le concernant.

Joseph Dessaix a dit de lui en 1865 « Il trône, dans une prairie, au milieu d’autres arbres de la même espèce, qui ne le lui cèdent ni en beauté ni en puissance de végétation. C’est le roi des châtaigniers dans une forêt de géants».

Cet arbre n’existe plus aujourd’hui, où du moins devrais-je dire : nulle trace de l’arbre tel que décrit précédemment.

Mais a-t-il pour autant disparu, comme on me l’affirme souvent ?…

Le plus imposant des châtaigniers actuels se situe en limite nord du groupe (en A sur le plan), le long de l’unique route qui longe la châtaigneraie. Cet arbre penché n’est pas tant remarquable par les dimensions de son tronc, respectables mais non exceptionnelles, que par la masse ligneuse de laquelle il émerge. Cette masse n’est autre que la base d’un châtaignier jadis bien plus gros. Vu l’aspect actuel de l’ensemble il est possible de supposer qu’initialement cet arbre se divisait, vers 2m de haut, en trois troncs, dont un seul subsiste aujourd’hui.
Suite à l’effondrement du plus gros de la structure et pour éviter que le dernier tronc ne s’écroule à son tour l’énorme base a été bétonnée en 1973(3) par des bénévoles du quartier.

La juxtaposition d’un ancien cliché du châtaignier(4) légendaire d’avec la photo de cet arbre est… troublante :

Pourrait-il s’agir même arbre ?

Au delà de cette ressemblance frappante, les dimensions correspondraient-elles ?

De nombreux textes affirment que le Châtaignier légendaire mesurait 15 m de tour, voire davantage. L’indicateur de la Savoie (1905) est le seul, à ma connaissance, à rapporter une circonférence moindre, puisqu’il y est annoncé 14 m.
La présence, sur ce vieux cliché, d’un personnage posant au pied du mastodonte nous permet de tenter une estimation de circonférence: disons entre 9 et 11 m à hauteur de poitrine et 13 à 15 m au niveau du sol.
En admettant que les anciennes mesures aient été prises à la base, et peut-être même un peu exagérées histoire de gonfler les mensurations du vieux ligneux (ce qui n’est pas si rare) cela pourrait correspondre ; notre Châtaignier bétonné mesurant actuellement ~15,5 m au niveau du sol.

Ressemblance frappante, dimensions similaires, mais quid de la localisation ?

   Sur la photographie ci-contre ( Mémoires & documents de l’académie Chablaisienne – 1905) on peut voir un fiacre et un cheval, ainsi qu’une vague ligne blanche derrière l’arbre ; ligne qui pourrait fort bien être un chemin.

Il n’existe qu’une seule route longeant la Châtaigneraie ; et son tracé est inchangé depuis 1872(5).
A moins que nous ayons affaire à un fiacre tout terrain notre illustre ligneux se situait donc bien en limite nord, le long du chemin.

Et l’arbre bétonné se trouve lui aussi en bord de route! Nul autre prétendant le long de celle-ci.

Le châtaignier légendaire serait alors toujours vivant!

Dans ce cas celui-ci pourrait être bien plus âgé qu’il n’y paraît: 400 à 600 ans dirais-je ; 700 au grand maximum(6). Pour que François de Sales ait pu se réfugier dans un colossal châtaignier il y a plus de 400 ans l’estimation haute parait même tout à fait crédible.

La première légende est à retenir davantage pour son intérêt folklorique que pour son authenticité. Sans parler du démoniaque sanglier notons qu’à la mort d’Amédée VII en 1391 ce châtaignier n’aurait pas même été centenaire (en retenant l’hypothèse haute pour l’âge); un petit châtaignier ne dépassant probablement pas les 3,50/4 m de tour. Pas de quoi alimenter un récit fantastique (À moins qu’il ne s’agisse d’un autre arbre aujourd’hui disparu cette légende a donc été brodée bien plus tard, une fois le châtaignier devenu célèbre).

Intéressons-nous aux autres arbres de cette châtaigneraie.

En limite Sud-Est du groupe une grosse masse ligneuse (Q) aux contours confus nous force, elle aussi, à nous questionner sur la notion d’individu quand il s’agit d’arbre très âgé.

Les châtaigniers qui poussent sur ce tas de bois ne sont pas bien gros et semblent donc fort jeunes pour l’observateur distrait. Pourtant, il est évident que ce monticule ligneux de forme circulaire n’est autre que la base d’un énorme châtaignier dont la structure principale a disparu ; et les jeunes châtaigniers en périphéries sont des rejets de ce même arbre. Ainsi, bien qu’amputé de quasiment toute sa masse initiale, cet ancien colosse est toujours vivant. Il n’y a en effet eu aucune discontinuité de vie, si je puis dire, et les rejets bien que physiologiquement jeunes appartiennent à un organisme certainement aussi vieux que le premier châtaignier évoqué.
Cet amas ligneux présentant une circonférence de ~12 m, je pense qu’une fourchette de 300 à 600 ans paraît crédible(7).

Hormis ces deux arbres les châtaigniers de la Chavanne semblent se diviser en deux sous-ensembles d’âges différents. Les arbres de moins de 4m de tour, principalement à l’ouest, pourraient être âgés de 200 ans au maximum. Les autres, au-delà de 4,78 m de circonférence pourraient eux être âgés de 150 à 250 ans(8).

La configuration du lieu n’a guère changé depuis 1934(9). Autour de la châtaigneraie les champs agricoles se sont transformés en zones résidentielles, mais à la limite sud de la châtaigneraie subsiste encore un petit rectangle non-construit, mais pour encore combien de temps ?
Au début du siècle dernier le bois de Lonnaz était plus étendu (voir cette image), aujourd’hui il est littéralement coupé en deux par le hameau des Bougeries (début des travaux en 1968). Au temps d’Amédée VII et de François de Sales cette forêt devait être considérablement plus étendue…

Un grand merci à ceux qui m’ont permis d’approfondir ma connaissance du lieu et de progresser dans mon enquête(10). Enquête qui n’est d’ailleurs pas terminée. N’hésitez pas à me contacter si vous disposez d’informations complémentaires ou de photos d’avant 2000.

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GPS: N46° 20.765′ E6° 29.039′
Accès: Facile. En plein coeur du Hameau de la Chavanne à Allinges, aux portes de Thonon-les-Bains.

Chaque année se déroule en ce lieu la « Fête de l’arbre ».

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