Une plante est dite « ligneuse » quand elle fabrique du bois (constitué, entre autres, de molécules de lignine, d’où le nom[9]). Contrairement aux plantes dites « herbacées » qui fanent cycliquement au rythme des saisons (voire définitivement pour les annuelles), la plante ligneuse croît régulièrement grâce au bois qui, outre ses fonctions de stockage et de conduction de la sève[15] assure, par sa résistance/solidité, une fonction de soutien. Cette trouvaille évolutive[10] a notamment permis aux plantes ligneuses de gagner en taille et en longévité.
Évidemment, on pense aux arbres: vieux chênes, séquoias géants, tilleuls séculaires, fayards noueux, sapins élancés, majestueux platanes, etc…
…mais on oublie trop souvent les ligneux peu élevés[20], forcément plus discrets : arbustes, arbrisseaux, voire même sous-arbrisseaux (ces derniers ne dépassent pas les 50cm de haut).
Quelques exemples au hasard: sureaux, fusain, buis, rosiers, noisetier, cornouillers, saules nains, etc.
Ces modestes végétaux sont très peu représentés dans les inventaires d’arbres remarquables. Pour être précis, en France, ils ne constituent que 4 % environ des données collectées[18].
Un tel désintérêt s’explique vraisemblablement par leur aspect non-impressionnant.
Certains individus peuvent pourtant atteindre des tailles et des âges totalement hors normes au regard des spécificités de leur espèce, et mériteraient donc parfaitement de figurer dans ces inventaires.
Tout en bas de notre échelle d’intérêt il existe d’autres ligneux quasi ignorés, mal-aimés, et parfois même méprisés : il s’agit des lianes[22].
Ces plantes, bien que fabriquant du bois, ne sont pas assez résistantes pour soutenir leur propre poids et utilisent un support pour gagner en hauteur[12]. On parle donc de plantes grimpantes.
Bien rares sont les lianes dans les inventaires[19]. On trouve quelques exotiques comme les glycines ou bignones pour leurs spectaculaires floraisons ou pour les impressionnantes tonnelles végétales qu’elles constituent parfois ; bien plus rarement quelques vignes ou quelques lierres…
…mais jamais de clématites !
La Clématite vigne-blanche (Clematis vitalba) est une espèce autochtone très commune[11], facile à reconnaître, impossible à confondre. Souvent présente dans les haies et en lisière ; pouvant grimper très haut dans les arbres ; elle se couvre en été d’abondantes et odorantes fleurs blanc-jaunâtre, qui une fois fécondées se transforment en denses pompons plumeux/cotonneux[13] très caractéristiques[14], formant en hiver de vaporeux nuages blanchâtres dans les houppiers défeuillés. En outre elle offre parfois à nos bois occidentaux, quand on la trouve en grande quantité, des allures de forêts tropicales. De quoi faire le bonheur des enfants prompts à peupler ces entrelacs de lianes de leurs rêves d’aventures.
Pour les adultes, c’est une autre affaire. Son aspect sauvage et incontrôlable est peut-être à l’origine de l’indifférence – voire du mépris – qu’on lui porte ; en France en particulier où nous sommes culturellement enclins à apprécier une vision propre et disciplinée de la nature qui ne saurait tolérer de telles plantes dissidentes.
Si elles n’atteignent pas les dimensions rencontrées chez le lierre ou d’autres lianes comme la glycine ou la bignone, il n’en existe pas moins des individus hors normes.
L’espèce est pourtant absente des inventaires d’arbres remarquables[4], pour la raison évoquée précédemment, mais aussi probablement à cause de sa présence dans des broussailles, lisières et sous-bois sauvages souvent impénétrables, pouvant décourager jusqu’aux plus audacieux des dendrophiles.
Faute de données dendrométriques à analyser/comparer il n’est alors pas évident d’établir une échelle statistique.
Toutefois mes recherches, l’habitude, ainsi qu’un certain nombre de mesures réalisées ces dernières années m’ont permis d’établir une échelle de remarquabilité que j’estime plutôt fiable/crédible.
Les clématites peuvent atteindre l’épaisseur d’un poignet (15 à 20 cm de tour) ; peu fréquentes au-delà de 20 cm de circonférence, elles excèdent rarement les 30 cm (seuil de remarquabilité acceptable), et deviennent rarissimes à partir de ~36/37 cm. 35 cm pourrait être un seuil de remarquabilité solide, peu contestable (mais 30 cm c’est déjà peu commun).
Les plus impressionnantes clématites qu’il m’ait été donné de rencontrer se trouvent au nord du département, dans la commune de Sciez, au lieu-dit « la Grande Corne ».
Le site abrite plusieurs lianes remarquables, certaines dépassant même largement ce que j’estimais possible pour l’espèce. Je dois avouer que j’ai eu du mal à en croire mes yeux..
La plus imposante de ces Clématites affiche en effet une circonférence de…
53,5 cm[5] !
Nous avons donc affaire à une liane exceptionnelle[6],
vraisemblablement la plus grosse Clématite du département[7],
et probablement une des plus imposantes de France[8].
Elle pousse sur un Pin sylvestre et présente un simili-tronc courbé/ascendant de 1m50 environ avant ramification (vers 80cm du sol). Au delà les deux tiges mesurent 36,5 et 34,5 cm.
Liane d’autant plus remarquable qu’elle est située au sein d’une pinède elle-même remarquable[1] (avec quelques individus tout à fait hors-norme comme ce superbe Pin-Kraken), sur un site à fort intérêt patrimonial[2] propriété du conservatoire du littoral[3].
Les clématites y sont assez nombreuses, ajoutant une touche graphique et un aspect sauvage au lieu.
…
Une autre Clématite mérite d’être signalée.
Elle se situe une centaine de mètres plus à l’est, vers la lisière de la grande prairie.
Cette liane paraît double, ramifiée au niveau du sol. Elle présente deux tiges en large crochets : d’abord rampantes, puis courbé ascendantes. L’une des deux est très imposante.
Sa circonférence est de 44,5 cm à 1m30, pour 48 cm vers la base[16].
La deuxième tige, plus modeste, mesure tout de même 33 cm de tour.
Apparemment moins exceptionnelle que la précédente clématite donc. À noter toutefois:
l’écart de circonférence est de 9 cm, ce qui fait à peine 3 cm de diamètre – important du point de vue dendrométrique, mais visuellement la différence n’est pas si frappante. De plus, cette clématite conserve un diamètre important sur une grande longueur, là où la précédente se ramifiait très tôt.
En outre, la partie basse de l’ensemble, au niveau de la fourche, étant semi-enterrée; il est difficile de savoir si nous avons affaire à deux clématites tangentes ayant fusionné[23] ou bien à une seule ramifiée au niveau du sol (voire ramification haute avec une partie de la tige enterrée?).
S’il s’agit d’un seul pied alors le précédent record pourrait bien être dépassé (peut-être plus de 60 cm sous la ramification ! À vérifier).
…
Donner un âge à ces lianes est malaisé, la bibliographie étant à ce sujet (à ma connaissance) quasi-inexistante.
L’espèce atteindrait 25 à 30 ans[24] ; Les spécimens présentés ici étant tout à fait hors-normes, il est plus que plausible qu’ils aient dépassé cette limite.
La seconde clématite pourrait avoir 35 ans au maximum[17]. Quant à la première, il ne paraît pas invraisemblable qu’elle soit plus âgée encore.
50 ans est une limite haute au delà de laquelle toute estimation semblerait exagérée, en tout cas purement gratuite[21]…
Autres circonférences remarquables relevées sur le site de la Grande Corne: 36 – 33,5 – 31,5 – 30 cm, etc (non exhaustif).
Galerie
Localisation: cliquez ici
GPS: N46° 20.450′ E6° 21.944′
Accès: Les sorties hors sentier ne sont pas autorisées sur ce site naturel sensible (faune et flore). N’hésitez pas à me contacter si vous désirez absolument voir ces lianes, visites envisageables dans le cadre des chantiers régulièrement réalisés sur site par les bénévoles de la LPO (arrachage de plantes invasives, entre autres).
Deuxième Clématite découverte par Odile Cruz.
Merci à Elisabeth et Odile d’avoir accepté de prendre la pose.